La lumière n’est pas son domaine. C’est dans l’ombre, dans les coulisses qu’il s’épanouit, qu’il agit. Grand, brun, il est plutôt du genre discret. On pourrait le croire un peu gauche. Ce n’est qu’apparence. Il sait très bien cacher son jeu. Son sourire charmant d’enfant trop sage finit par faire des ravages.
Cela fait plusieurs années qu’on se croise. Au début, je n’avais pas fait spécial attention à lui. Il avait tout du gendre idéal. Habillé très classique, chemise boutonnée jusqu’au col, il semblait longé les murs. Au service d’une compagnie, son rôle est de faciliter la vie des artistes, de gérer tout le côté administratif. Toujours en retrait, jamais un mot plus haut que l’autre, il se fondait dans le décor, n’intervenant que quand il était sollicité. Un soir de septembre, c’est la première d’un des spectacles des comédiens avec qui il travaille. Suivant de près leur création, j’arrive tranquillement dans ce théâtre fort sympathique, situé à deux pas du jardin du Luxembourg. Anxieux, il est venu en renfort de l’attaché de presse. Amical, doux, il salue avec Une affabilité toute en retenue les invités, les journalistes. Il glisse un petit mot de bienvenue aux quelques personnes qu’il connaît. Il m’est familier, mais incapable de me souvenir où nous nous sommes vus. Pourtant, il y a dans son air juvénile, son regard noir perçant, quelque chose d’unique, de très séduisant, de charmant.
Pas le temps de s’appesantir, de discuter avec lui, la pièce va bientôt commencer. Je suis attendu au Paradis. Absorbé par l’histoire, l’interprétation fine du comédien, j’en oublie ce grand escogriffe, ce bel inconnu, qui semble à peine sortie de l’adolescence. C’est après la représentation, qu’il revient vers moi, se (re)présente et me demande ce que j’ai pensé du spectacle. Sa douceur, son sérieux, son allant chaleureux autant que délicat, sont comme du miel. Difficile de résister à son air pétillant de vrai gentil, il sait parfaitement en jouer, amener l’autre dans une zone de confort afin de l’attraper dans ses filets. Il n’y a pas à dire, il fait des merveilles, un « entourloupeur » au grand cœur. La soirée est belle. Il fait doux. Le courant passe mais il a d’autres personnes à voir et j’ai d’autres gens à croiser.
Il faudra presque un an pour que l’on se retrouve. Il accompagne un spectacle au festival d’Avignon. Une seule date, dans un endroit enchanteur. Le rendez-vous est donné dans l’un des coins les plus secrets de la cité des papes, un magnifique jardin à quelques encablures du palais. Il fait nuit. L’air s’est rafraichi. Pour accéder au lieu de présentation, il faut trouver une porte dérobée au fond d’un impasse, traverser une immense salle voutée, puis une terrasse aménagée en bar. C’est là qu’il se trouve. Look du dandy qui ne craint pas la chaleur, tout sourire, il indique le chemin qui mène à une sorte de petit patio andalou. La plupart des invités sont déjà installés. Assis sur l’herbe, ou sur des tabourets, ils attendent, tout en discutant, le début de la pièce. Dans la pénombre, trois artistes nous invitent à un voyage dans le temps à la rencontre d’un homme extraordinaire, un perse, un grand musicien. C’est tout simplement magique. L’assemblée est totalement conquise par ce moment suspendu qui se termine par le chant a cappella d’une chanteuse hors norme, à la voix de velours.
Un pot est offert, l’occasion d’échanger avec les autres, de discuter avec l’auteur, les comédiens et de découvrir ce qui se cache derrière le sourire affable de ce grand brun faussement gauche. Petit à petit, il laisse tomber ses défenses, se déride. Humour pince sans rire, hâbleur, plus il se sent en confiance, plus il se libère de son image trop proprette. Drôle, aguicheur, galant, il caresse dans le sens du poil tous ses interlocuteurs. C’est un sacré personnage. C’est quelqu’un d’autre, un bout en train, un amuseur. Il croque la vie à pleines dents.
Nous nous reverrons souvent. Notre relation est plus amicale. Nous ne confions l’un à l’autre. Nous parlons travail bien sûr, mais aussi de nos vies. Il est très doué pour séparer l’intime du professionnel. C’est un plaisir à chaque fois renouvelé de se retrouver au fameux « bar du in » à Avignon, mais aussi à Paris dans les salles de spectacles. Il a changé de poste depuis, il s’occupe d’un théâtre municipal en province maintenant. Chercheur de pépites, il sillonne la France pour offrir à ses spectateurs, une palette de divertissement, de textes d’auteurs, de pièces engagées. Le Coronavirus fait que nous ne nous verrons pas cet été. Mais toujours en contact, on espère que l’automne sera plus propice pour se croiser.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Crédit photos © Jean Louis Fernandez, © théâtre du Lucernaire et © OFGDA