A deux pas du Luxembourg, le Lucernaire se réveille lentement après deux mois d’endormissement forcé, suite à la pandémie de coronavirus. Si le lieu ne peut toujours accueillir ni public ni artistes, les équipes sont à pied d’œuvre pour remettre en route la machine. Benoît Lavigne, son directeur, revient sur cette étrange période où le spectacle vivant est à l’arrêt et imagine malgré tout l’avenir avec optimisme.
Comment s’est passé le confinement ?
Benoît Lavigne : Je dirais de manière improvisée, comme l’ont été les décisions et déclarations du Président. Dans un premier temps, après l’annonce des fermetures des écoles nous avons tout de suite annulé tous les spectacles jeunes publics. Puis, il y a eu l’arrêt du 14 mars au matin qui laissait la possibilité aux salles de moins de 150 places de jouer, nous nous sommes concertés avec les compagnies qui jouaient chez nous et avec leur accord nous avons décidé d’être ouverts le samedi 14 et dimanche 15 mars.
Mais le 14 mars à 19h le Premier ministre, Édouard Philippe, a annoncé que tout devait être fermé à minuit. Nous avons donc avisé les compagnies que cette soirée était la date de leur dernière. On a tout fermé, le théâtre, le cinéma, le restaurant, le bar. Cela a été brutal, il a fallu faire face humainement et expliquer aux spectateurs, aux acteurs l’inconcevable.
Je regrette qu’il n’y ait pas eu d’anticipation et que tout cela ait été, du coup, fait dans l’urgence sans nous laisser le temps de nous y préparer.
Il a fallu donc être très réactif…
Benoît Lavigne : Les spectateurs, l’équipe du Lucernaire étaient sous le choc. Quant aux compagnies, pour certaines ce week-end-là était leurs dernières représentations, mais pour d’autres, c’étaient leur première. Pour eux cela a été très dur. On les a rassurés, en leur garantissant qu’elles seraient reprogrammées la saison suivante. En deux jours et demi, il a fallu nous organiser et gérer tout ce qui était nécessaire pour mettre le Lucernaire à l’arrêt pendant un temps indéfini. Ce fut du travail administratif et du traitement billetterie.
On a privilégié les avoirs sur les remboursements, ce qui a assez bien fonctionné et je tiens à en remercier les spectateurs. On a vidé et nettoyé les cuisines et les frigos du restaurant et du bar. On a fait un gros ménage et on a mis le lieu en sommeil.
Comment gère-t-on un théâtre fermé ?
Benoît Lavigne : On a mis tout le monde en chômage partiel. Et cela a été un peu compliqué au début, car la mise en place n’a pas été tout de suite évidente. Mais heureusement que cela existe. Je me dis que franchement on n’est pas les plus mal loti en France. On a maintenu les salaires plein pot pour mars pour toute l’équipe. Ensuite nous sommes allés voir les banques pour obtenir un prêt garanti par l’état car nous n’allions plus avoir de trésorerie. Et comme toujours avec les banques ce n’est pas simple à mettre en place mais nous y sommes arrivés. Maintenant via l’ASTP, on va voir comment obtenir une aide de l’état et de la Ville de Paris sur les charges fixes. Nous sommes aussi restés en contact avec les spectateurs, les abonnés, via notre newsletter, mais aussi avec les capsules vidéo « Envie d’ailleurs », diffusées tous les deux jours via les réseaux sociaux. Beaucoup d’artistes passés au Lucernaire ont répondu présents comme Anne Baquet, Pierre Notte, Franck Desmedt, Bruno Abraham-Kremer, Philippe Calvario… Nous avons eu de beaux retours sur ces capsules littéraires et artistiques. Et puis on ne cesse de ré-imaginer un plan de reprise et à chaque fois que se profile une date potentielle voir comment on va faire pour redémarrer dans les meilleures conditions.
Votre système de programmation, qui fait la force de ce lieu, doit être un sacré casse-tête à remettre en place ?
Benoît Lavigne : C’est du Tetris, faut que cela rentre ! Nous avions deux spectacles qui venaient tout juste de démarrer, Le square et Le penseur et un qui devait débuter le mercredi suivant Boule de suif. Ceux-là, on a pu tout de suite les reprogrammer pour la saison prochaine. Pour ceux qui devaient se jouer au printemps et à l’été, on va voir comment les reprendre et à quel moment, voir avec les trous qui restaient dans la programmation où pouvoir les inscrire. Car nous avions des spectacles pour lesquels nous étions encore en option où qui n’étaient pas encore validés. En tout cas, les spectacles qui auraient dû se jouer durant cette période de fermeture sont prioritaires et nous sommes en train d’organiser tout ça. On peut dire que notre saison 2020-2021 est en passe d’être quasiment bouclée.
Et vous espérez ouvrir en septembre ?
Benoît Lavigne : C’est notre rêve le plus cher. Je suis un optimiste alors je veux y croire. On est sur une épidémie qui décroît même s’il faut rester prudent. Mais Paris est aussi un des lieux les plus chauds. J’espère que les gens vont être raisonnables. Une reprise ne peut avoir lieu que dans des conditions à peu près normales, sinon ce n’est pas viable pour nous économiquement mais aussi humainement. Si on ne peut pas dépasser les ¾ de jauge ce n’est pas la peine d’ouvrir. Comme de suivre les consignes qui sont en ce moment envisagées par le rapport Bricaire ! Ce n’est pas applicable. C’est même tuer l’esprit du théâtre ! En tout cas, ce que je sens, c’est que les gens ont besoin de cela, de revenir au théâtre, dans les lieux culturels et de vie.
Vous êtes également à la direction du Théâtre de l’Œuvre, comment cela s’est-il passé ?
Benoît Lavigne : L’arrêt brutal a eu lieu le 13 mars, pour Le cercle des illusionnistes d’Alexis Michalik, idem pour le spectacle de Mathieu Madénian et celui d’André Manoukian. On devrait ouvrir, fin août ou début septembre, avec la reprise de la pièce de Jean-Philippe Daguerre, Adieu, Monsieur Haffmann et la création du nouveau spectacle d’Alex Vizorek. Alex devait le roder avant en province et au festival d’Avignon, du coup-là il faut un peu négocier avec la production qui a un peu de crainte à démarrer sans ce tour de chauffe nécessaire à une création. Sinon, comme notre équipe à l’Œuvre est plus petite qu’au Lucernaire et qu’on a un actionnaire solide financièrement, nous avons pu maintenir les salaires dans leur totalité et c’est une chance.
Je profite que l’on parle du théâtre de l’Œuvre, pour vous demander pourquoi le bruit a couru que vous n’étiez plus le directeur ?
Benoît Lavigne : Parce qu’après 3 ans, durant lesquels j’y ai passé presque 24h/24, j’ai décidé de reprendre un peu de liberté pour pouvoir créer à nouveau et retrouver mon vrai métier celui de metteur en scène. Maintenant que le navire navigue bien, qu’il a retrouvé une belle stabilité, une image de qualité, je pouvais sortir de son quotidien et laisser la barre à Kim Poignant. Je me suis déchargé de tout l’administratif, mais j’en suis toujours directeur artistique, gérant et actionnaire, avec François-Xavier Demaison. On est tous les trois en lien permanent pour préparer l’avenir et ensemble nous formons une belle équipe de direction soudée et complémentaire.
Que vous voyez comment pour le théâtre ? Quelle leçon retenir de ce que nous sommes en train de vivre ?
Benoît Lavigne : C’est au gouvernement d’en retenir les leçons, sur la société, le système de santé, la santé publique… En tout cas, en ce qui concerne le théâtre, cette crise a révélé qu’en France, il n’y a pas de politique culturelle. Le grand absent a bien été notre ministre de tutelle. Cela a montré qu’il n’avait pas de projet, peu de choses à nous dire. L’ambition culturelle du gouvernement est inexistante. Pour notre profession, les leviers ont été assez efficaces entre le chômage partiel, les PGE et les aides de l’État même si nous espérons en plus l’annulation des charges sociales nécessaires durant ces mois d’inactivité. Dans le théâtre privé, on a été informé et conseillé au quotidien grâce aux Syndicats des Théâtre Privé et à l’ASTP. Il y a eu une véritable solidarité. On s’appelle entre directeurs de théâtre pour voir comment chacun fait face, s’organise. On se soutient. On est solidaire et même si certain font preuve d’un peu de pessimisme notre volonté à tous est de ré-ouvrir nos salles au plus vite et de retrouver le public.
Propos recueillis de Marie-Céline Nivière
Crédit photos © Eddy Briere, © Théâtre du Lucernaire et © Fabienne Rappeneau