Des nouvelles de la Comédie de Béthune

Cécile Backès, directrice de la Comédie de Béthune, livre quelques-unes de ses réflexions sur le moment présent et à venir.

Gérant par Skype ou Zoom ses équipes administratives et artistiques, un système temporaire, épuisant qui oblige à changer ses habitudes au quotidien, Cécile Backès utilise le temps de pause imposé par la crise du COVID pour repenser sa manière de travailler, d’aborder le spectacle vivant. Imaginant ce que pourrait être le théâtre d’après, elle livre quelques-unes de ses réflexions. 

Actuellement, comment vous sentez vous face à cette crise sanitaire et culturelle ? 

Cécile Backès : Je dirais que je suis plutôt les pieds dans la terre, que je respire le printemps. Moralement je suis inquiète, comme beaucoup. En même temps, j’essaie de mesurer ce que nous sommes en train de vivre, dans cette période très particulière. Nous voilà face à une somme d’incertitudes. Ce qui est assez difficile à vivre, car on ne peut se projeter dans l’avenir. En temps normal, nous travaillons à partir d’un calendrier bien établi, nous échelonnons les lectures, les répétitions, en même temps nous calons les tournées et ce jusqu’à la première. Actuellement, c’est impossible, nous n’avons aucune date. Nous naviguons à l’aveugle dans un gros nuage flou. C’est assez inquiétant, angoissant. Nous avançons un certain nombre d’hypothèses, qui viennent combler le vide, en espérant que quelques-unes tombent justes. Par rapport à cela, je dissocie mon métier de directrice de la Comédie de Béthune à celui de metteuse en scène. Mon rôle en tant que chef d’entreprise est de prendre des nouvelles, de rassurer mes équipes artistiques, techniques et administratives, de veiller à ce que les techniciens intermittents et les comédiens aillent pour le mieux dans cette situation particulièrement anxiogène. En tout, cela représente une soixantaine de personnes. C’est important qu’on prenne ce temps, que personne ne reste sur le carreau. On n’a rien lâché sur la communication interne pour que tout le monde soit informé de ce que nous tentons d’inventer pour l’avenir, mais aussi pour dire que nous serons à leurs côtés tout le temps de la crise. Ensuite sur le processus de la création, c’est plus compliqué. Le 15 juin, je vais probablement entrer en répétition de mon prochain spectacle qui devait être présenté cet été à Avignon au 11.Avignon, La Loi de la gravité d’Olivier Sylvestre. Il y a une vraie problématique et une vraie difficulté à imaginer comment répéter en respectant les mesures barrières. Il va falloir s’adapter. Nous allons travailler à partir de cette contrainte de distance au plateau et nous allons voir ce qu’elle produit.

Comment voyez-vous l’avenir ?

Cécile Backès : Pour l’instant, je suis en train de travailler à une reprise progressive des activités.J’espère comme je vous le disais qu’il sera possible de répéter au cours des prochaines semaines, soit mi- juin. Après, pour la réouverture au public, je n’envisage rien avant la rentrée de septembre, dans le meilleur des scénarii. Pour La Loi de la gravité, j’imagine un calendrier en deux temps. Il serait salutaire pour nous tous de pouvoir travailler à ce projet avant l’été et de reprendre les dernières répétitions, les derniers ajustements en septembre avant de créer le spectacle à la Comédie. Pour ce qui est de la programmation de saison, tout est déjà calé. Il ne nous rester que quelques ajustements à finaliser notamment dans le cadre des partenariats avec d’autres théâtres ou d’autres entités culturelles. Tout ceci ne sera évidemment possible que si l’on peut rouvrir les salles en septembre. Si ce n’est pas le cas, nous devrons revoir notre copie, reporter certains spectacles, si cela est possible, en annuler d’autres, comme nous venons de le faire pour les mois de mars, avril, mai et juin. Nous avons honoré tous les contrats, mais avons décidé d’ajourner toutes les représentations. C’était trop complexe d’essayer d’en recaser une partie. Par contre, nous suivons de très près les compagnies les plus fragiles. Elles vont avoir besoin de nous pour continuer à exister. Nous serons là. 


Ce temps de silence imposé par le confinement, vous semble-t-il nécessaire ?

Cécile Backès : Je crois que face à l’incertitude, à ce vide, il s’agit d’être humble. Nous vivons dans un présent très singulier, très étrange, que nous devons apprivoiser, tenter de comprendre. Je veille aux autres, à mes proches, à ma famille, mais j’ai aussi entamé un inventaire de ce que je suis, de mon métier, de ce que je souhaite. Je me questionne notamment sur les six derniers mois. Aurais-je fait les mêmes choix, si j’avais su qu’un virus, mettrait la France à l’arrêt ? Est-ce que ma future création, la loi de la gravité a encore du sens ? Après un temps d’introspection, de réflexion, oui je le crois car ce texte québécois parle du mal être de deux jeunes ados qui n’arrivent pas à vivre dans le temps présent et qui rêvent de liberté, de liberté de genre, notamment, mais aussi de liberté d’être eux même dans une autre temporalité, dans un autre monde, une autre ville. Le fait que la crise du COVID nous impose une distanciation sociale, un enfermement chez soi, cela favorise le silence, la distance avec les mots, les images. Ces moments sont précieux car ils permettent de (re)penser, de plonger dans ses souvenirs, de prendre le temps de voir autrement les choses. Pour interpréter le confinement, j’avais besoin de mettre mon rythme quotidien en pause. En petite équipe, à la Comédie de Béthune, nous avons mis en place de petites formes via le site pour maintenir le lien avec le public, notamment avec les « moments rêvés », mais j’avais besoin de solitude, de ne pas dépenser mon énergie inutilement, afin d’interpréter cette crise, ce temps d’arrêt. En tant qu’artiste, il est trop tôt pour que je tire de cette expérience une matière, ce que cela réveille en moi. Je vais devoir mûrir tout cela, écouter les autres. Nous aurons une période de gestation, de recul avant de pourvoir créer. Bien sûr, nous vivons un événement tragique. Savoir que des gens meurent seuls, que d’autres ne peuvent accompagner leurs morts, c’est terrible et nous devrons en rendre compte, trouver un moyen d’en parler à notre manière. Cela me fait penser au texte Le Lambeau, écrit par Philippe Lançon après sa longue résurrection suite à l’attentat de Charlie Hebdo. Il lui a fallu du temps pour produire un objet, pour se réparer. Nous sommes dans un moment aussi dramatique. Nous devons donc accepter de nous nourrir de cela, de digérer toutes ces émotions avant d’essayer d’en faire quelque chose, de témoigner. Le devoir de mémoire a besoin de temps, de silence, pour arriver à la résilience. 

Quel sera le monde d’après ?

Cécile Backès : J’espère qu’il ne sera pas comme celui d’avant. C’est d’ailleurs l’occasion rêvée pour favoriser le changement, pour réinventer notre futur. Toutefois, je suis assez lucide, la tendance humaine va vouloir un retour à la normale. A mon sens, c’est impossible. Il n’y a plus d’avant. Je souhaite profondément que nous impulsions un autre avenir qui tiendra compte de ce que nous vivons, que nous soutiendrons autrement l’hôpital public, qu’il sera mieux financé et structuré différemment. J’espère que ce que nous venons de traverser a montré irrémédiablement que rentabiliser la santé était une voie de garage, une impasse. A partir de cela, je crois que c’est tout le fonctionnement du service public qui est interrogé. Il en est de même pour le théâtre public et la culture publique en général. Ce qui est fascinant, c’est que le confinement a fait naître une créativité, c’est très intéressant car cela va nous permettre à tous, acteurs du secteur de l’art vivant, de proposer de nouvelles façons de travailler. Si on regarde les captations par exemple, il y en a de remarquables, surtout quand elles ont été pensées comme de vrais films. Peut-être qu’on peut s’emparer de cela, afin de diffuser nos œuvres, pour intéresser d’autres publics ? Nous devons aussi assumer plus fortement notre lien avec l’Éducation Nationale, la manière dont nous travaillons en collaboration avec les établissements scolaires et dont les artistes contribuent à l’enseignement artistique. Leur expérience, leurs pratiques et leur réflexion devraient nourrir davantage les enseignements à l’école, au collège et au lycée. C’est un point d’entrée qui permet à long terme de remailler le tissu social. A nous artistes, de nous renouveler.

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Crédit photos © Thomas Faverjon, © Simon Gosselin et © OFGDA

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