Bien qu’un vent de liberté semble souffler sur la France en ce jour de déconfinement, il est important de rester prudent. Pour continuer à profiter des bonnes habitudes prises, plongeons dans l’univers sombre de deux auteurs, Delphine de Vigan et Alexandre Seurat. Attention leur plume cache de bien obscurs mais captivants récits de vie.
J’ai lu cette semaine Les loyautés, de Delphine de Vigan, une autrice que j’aime suivre. Elle aborde les recoins de l’âme humaine avec justesse, et la bienveillance dont elle fait preuve à l’égard de ses personnages apporte de la lumière aux sujets douloureux qu’elle sait traiter.
Les loyautés : « (…) Ce sont les tremplins sur lesquels nos forces se déploient et les tranchées dans lesquelles nous enterrons nos rêves. »
C’est l’histoire de Théo, adolescent de 12 ans dont les parents séparés restent déchirés.
Toutes les maltraitances ne portent pas de coups.
La négligence, par exemple, est une forme de maltraitance.
L’histoire nous est racontée à travers quatre prismes : celui d’Hélène, la prof de sciences naturelle ; de Théo ; de Mathis, son meilleur ami ; et de Cécile, la mère de Mathis.
Alors que les chapitres consacrés aux adultes sont des récits à la première personne, ceux des adolescents sont des narrations omniscientes, comme s’ils étaient encore trop jeunes, eux, pour poser des mots sur leur histoire.
Toute son enfance, Hélène a été battue. Elle reconnait en Théo ces signes du mal-être. De façon maladroite, hystérique parfois et certainement acharnée, elle alerte à tous vents. Mais le corps de Théo ne porte aucun signe de coups. Rien de visible. Et Théo ne dit rien. A part sa fatigue et son manque de concentration… Alors personne ne l’écoute.
Pourtant, il y a un problème : Théo boit, en cachette, de l’alcool fort pour endormir sa peine, son angoisse, son impuissance et sa honte.
Le roman Les loyautés m’a rappelé un autre roman, lu l’année dernière La maladroite d’Alexandre Seurat. Un des romans les plus puissants que j’ai eu l’occasion de lire. Rarement un roman m’a donné envie de hurler, de vomir, sans que je puisse pourtant le lâcher – alors que rien, absolument rien n’est dit, mais que tout est entre les lignes.
Diana, 8 ans, a disparu. Chapitre après chapitre, les personnages témoignent : l’institutrice, la directrice, la grand-mère, etc. mais pas Diana.
On apprend qu’elle est née par accident d’une mère adolescente qui l’a confiée à sa grand-mère le temps de faire sa vie. Lorsqu’elle se pose enfin avec un homme et a d’autres enfants, la mère reprend Diana avec elle.
Dans cette famille, Diana dérange : elle est le boulet du passé. Elle est gauche, maladroite, toujours dans les pattes… mais l’est-elle vraiment ?
A l’école, Diana exaspère, elle en fait trop ou pas assez, cherche sa place sur des sièges qui semblent éjectables.
Maintenant que Diana a disparue, tout le monde témoigne – et nous aussi, nous pourrions témoigner, de toutes ces situations où nous avons baissé les yeux ou secoué la tête sans rien dire.
Ce roman réveille notre sentiment d’impuissance, tous nos « j’aurai du, j’aurai pu », tous nos « je sentais bien qu’il y avait quelque chose » et nous donne envie de ne plus rien laisser passer. Il est un cri silencieux, un appel douloureux à la révolte.
Deux romans subtils qui abordent la maltraitance, mine de rien, entre les lignes. Car malheureusement, elle semble normale aux enfants qui la subissent et qui protègent leurs parents.
Deux romans qui utilisent la même dramaturgie : le changement de points de vue de chapitre en chapitre.
Deux romans courts, poignants, qu’on ne lâche pas ; qu’on lit d’un souffle pour en connaître l’issue.
Mais là où celui de Delphine de Vigan creuse les pensées intimes, celui d’Alexandre Seurat creuse la mauvaise foi de ces arrangements que les personnages font avec eux-mêmes.
Les personnages de Delphine de Vigan ne sont pas complaisants : Hélène se bat pour faire entendre ce qu’elle ressent ; les autres sont intimement persuadés qu’il ne se passe rien. Alors que chez Alexandre Seurat, on sent que tout le monde sait, mais ne veut pas s’en mêler, se cherche des excuses.
Les deux romans ne finissent pas non plus de la même façon.
L’enjeu de chacun, aussi, est différent : alors que dans La maladroite, l’action est terminée et que le suspens se tend autour de ce qui s’est passé, dans Les loyautés l’action se déroule au présent, il n’y a pas d’énigme à résoudre mais une inquiétude réelle pour le personnage que l’on suit : Théo va-t-il sombrer ou pas ? Dire quelque chose ? Se défaire, pour sa propre survie, de ses loyautés ?
En outre, n’oublions pas que Diana a 8 ans alors que Théo est dans la préadolescence : on attend de lui qu’il devienne sujet de sa vie. L’axe non plus n’est donc pas tout à fait le même.
Ce sont donc deux livres suffisamment différents, forts, puissants et captivant pour mériter, chacun, d’être lus.
Catherine Verlaguet
Les Loyautés de Delphine de Vigan – Editions JC Lattès – Editions Livre de Poche
La Maladroite d’Alexandre Seurat – Editions du Rouergue
Crédit photos © Delphine Jouandeau