S’interrogeant sur la crise sanitaire actuelle, Diastème a imaginé une pièce en acte, une pièce de confinement. Aimablement, il a accepté de nous la confier. Bonne lecture !
Ils ne se voient pas.
Un temps.
Ils se voient.
L’UN : Eh !?
L’AUTRE : Ah !!
L’UN : Eh…
L’AUTRE : Ah…
Un temps.
L’UN : EH !?
L’AUTRE (après un temps) : Boh…
Un temps.
Un autre temps.
L’UN : Tu as vu que le chanteur Christophe était mort ?
L’AUTRE : J’ai vu, oui.
Un temps.
L’UN : Et Lee Konitz ?
L’AUTRE : J’ai vu.
Un temps.
L’UN : Tu as mangé ?
L’AUTRE : Jeudi. Je crois.
Un temps.
L’AUTRE : Et toi ?
L’UN (après un temps) : Sûrement.
Un temps.
L’UN : Tu savais que Darty livrait mais qu’ils ne reprenaient pas les appareils usagés ?
L’AUTRE : Non.
L’UN : Alors Darty livre mais ils ne reprennent pas les appareils usagés.
L’AUTRE : OK.
L’UN : Par exemple, si ton réfrigérateur est cassé, ils t’en livrent un nouveau, mais ils ne reprennent pas celui qui est cassé.
L’AUTRE : OK.
L’UN : Tu es obligé de rester avec deux réfrigérateurs chez toi – dont celui qui est cassé.
L’AUTRE : Je comprends.
L’UN : Jusqu’à la fin du confinement.
L’AUTRE : Je comprends.
L’UN : Avec celui qui est cassé.
L’AUTRE : Je comprends.
Un temps.
L’AUTRE : Et ta pièce ?
L’UN : C’est mort.
L’AUTRE MORT : Ton autre pièce ?
L’UN : C’est mort.
Un temps.
L’UN : Ton film ?
L’AUTRE : C’est mort.
Un temps.
L’AUTRE : Les assurances demandent quatre combos…
L’UN : Quatre combos !?
L’AUTRE : Quatre combos. Un pour chaque chef de poste.
L’UN (après un temps) : C’est beaucoup.
L’AUTRE : Et les maquilleurs n’ont plus le droit de toucher les acteurs…
L’UN : Plus du tout ?
L’AUTRE : Du tout.
L’UN (après un temps) : Moche.
Un temps.
L’UN : Tu as vu que Gilbert Montagnier avait dit que le virus avait été inventé en laboratoire par des chinois ?
L’AUTRE (après un temps) : Luc…
L’UN (après un temps) : Luc ?
L’AUTRE (après un temps) : Luc.
Un temps.
L’UN : Ah oui.
Un temps.
L’UN : Tu as vu que Luc Montagnier avait dit que le virus avait été inventé en laboratoire par des chinois ?
L’AUTRE (après un temps) : Oui.
Un temps.
L’AUTRE : Moi je l’aime bien Didier Raoult…
Un temps.
L’UN : Boh…
Un temps.
L’AUTRE : Enfin…
Un temps.
L’UN : Ouais…
Un temps.
L’AUTRE : Tu as su pour Viviane ?
L’UN : Ouais.
Un temps.
L’AUTRE : Moche.
L’UN (après un temps) : Moche.
Un temps.
L’AUTRE : Moche.
Un temps.
L’UN : Je me suis mouché, hier, dis.
L’AUTRE : Beaucoup ?
L’UN : Raisonnablement.
L’AUTRE (après un temps) : Et ?
L’UN : Et… Rien. Non. Juste. (un temps) Je me suis mouché.
L’AUTRE (après un temps) : OK.
Un temps.
Un autre temps.
L’AUTRE : Ils ont dit que les cinémas rouvriraient peut-être en septembre.
L’UN : Et les théâtres ?
L’AUTRE : Peut-être en septembre.
Un temps.
L’UN : Septembre ?
L’AUTRE : C’est ce qu’ils ont dit…
Un temps.
L’UN : Tu as mangé ?
L’AUTRE : Jeudi.
Un temps.
L’AUTRE : Je crois.
Un temps.
L’UN : Et ton zamioculcas, tu l’as rempoté ?
L’AUTRE : Pas encore.
L’UN (après un temps) : Je comprends.
Un temps.
L’UN : Moi j’ai refait tout mon classement de CD…
L’AUTRE : Bonne idée.
L’UN : J’ai rangé par couleurs de jaquettes.
L’AUTRE : Pas con.
L’UN : Les bleues avec les bleues, les jaunes avec les jaunes…
L’AUTRE (après un temps) : Les rouges avec les rouges.
L’UN : Voilà.
L’AUTRE (après un temps) : Les noires avec les noires.
L’UN : Voilà.
Un temps.
L’UN : La semaine prochaine je ferai la même chose avec les livres.
L’AUTRE (après un temps) : Pas con.
Un temps.
L’AUTRE : J’ai regardé le ciel tout à l’heure… (un temps) Je crois que je n’ai jamais vu un ciel si beau. À Paris. Si joli.
L’UN (après un temps) : Je me suis fait la même réflexion hier…
L’AUTRE : Un air si pur…
L’UN : Pareil.
L’AUTRE : On pourra dire qu’on a vu ça. Au moins. Une fois.
L’UN (après un temps) : Boh…
L’AUTRE (après un temps) : Mouais.
Un temps.
L’UN : Il y a du monde à la boulangerie ?
L’AUTRE : Attends… (un temps, il disparaît, revient) Une dizaine de personnes. Il y a la queue jusqu’à la pharmacie.
L’UN : OK.
L’AUTRE : La dernière fois que j’y suis allé j’ai croisé Valentine. On est resté à un mètre l’un de l’autre. On ne s’est pas embrassés. On se parlait dans la queue et les gens nous regardaient. (un temps) C’était… Je ne sais pas.
L’UN : Comme quand on s’est croisés au Monop’ ?
L’AUTRE : Un peu.
L’UN (après un temps) : Moche.
L’AUTRE : Moche.
Un temps.
L’AUTRE : Y’avait une punk avec un masque ce matin au Monop’…
L’UN (après un temps) : Moche.
Un temps.
Un autre temps.
Puis :
L’UN : J’ai relu “Ode maritime” hier soir…
L’AUTRE : Je t’avais dit non.
L’UN : Je sais.
L’AUTRE (après un temps) : Tu es zinzin.
L’UN : Je sais.
Un temps.
L’AUTRE : Zinzin.
L’UN : Je sais.
Un temps.
L’UN : “Ah ! N’importe comment, n’importe où, partir ! : Prendre le large au gré des flots, des dangers et des mers : Cingler vers le lointain, vers l’Ailleurs, vers la Distance abstraite : Indéfiniment, par les nuits mystérieuses et profondes : Emportés comme la poussière par les vents, par les tempêtes : Mais partir, partir, une fois pour toutes, partir !”
L’AUTRE (après un temps) : Zinzin.
Il raccroche.
L’UN (après un temps) : Eh !?
Ils ne se voient plus.
Un temps.
Un autre temps.
RIDEAU