Éditrice et écrivaine, Vanessa Springora livre dans un roman autobiographique, poignant et radical, sa vérité sur la violence qu’elle a subie adolescente. Sans concession, sa plume incisive, implacable, dénonce les agissements de Matzneff et le regard complaisant du milieu littéraire de l’époque.
Adolescente en manque de père, V. cherche regards et affection de la gente masculine. Quand G.M. – un grand écrivain de plus de cinquante ans – lui en donne, elle prend ça pour de l’amour.
Sa sexualité s’initie et se résume alors à satisfaire l’autre. Après cette aventure, cette sexualité restera longtemps l’arme puissante qu’elle maniera pour se garantir l’amour des autres, dans une négation totale de soi.
Relation sous influence
Nous sommes nombreux à savoir de quoi parle « le consentement » avant de l’avoir lu, et c’est pourquoi certains ne le liront pas : cette histoire – ces histoires – nous en avons tellement entendu parler ! Pourtant, il serait dommage de passer à côté. Car ce livre décortique surtout le mécanisme de l’emprise.
Étrangement, j’ai lu Otage de Nina Bouraoui la semaine dernière, où le personnage, à force de consentements muets aux violences anodines et quotidiennes, se perd totalement. .
Étrangement, j’ai lu La Femme indépendante, la semaine d’avant, extraits choisis du Deuxième sexe de Simone de Beauvoir, qui parle divinement bien du statut Objet de la femme et du statut Sujet de l’homme – d’un point de vue social plus que sexuel. Statuts souvent consentis comme un état de fait par les deux sexes.
Domination masculine
On retrouve dans « le consentement » ce rapport à la domination insidieuse, l’emprise qui s’installe et s’accepte parce qu’elle est liée à l’admiration portée, la confiance donnée à un être qui pose d’emblée le rapport non pas d’égal à égal, mais de Sujet à Objet : celui qui a besoin d’être admiré regarde celui qui l’admire, et lui-même en voit son existence justifiée. .
Les deux, en fait, on besoin du regard de l’autre, à la différence que celui qui admire ne fait bientôt plus que ça, s’isolant progressivement totalement du reste du monde par peur de déplaire à son maître. Domination d’autant plus perverse que celle-ci n’est pas violente au sens physique du terme, mais oscille entre mots doux, caresses bienveillantes, et mots cassants, humiliants.
D’autres temps, d’autres mœurs
Aujourd’hui, le terme de perversion narcissique serait posé. Mais au début des années 80, les mœurs se veulent libérés et l’adolescente peut être librement amoureuse, librement appât, librement victime de sa vulnérabilité. Seulement, une jeune fille de 14 ans est-elle libre de consentir ? Cela revient à poser la question : un héroïnomane est-il libre de se droguer ?
V. accuse autant l’époque, les mœurs, son entourage (de sa mère et son père, aux grands auteurs de l’époque) que la justice, de ne pas l’avoir protégée – tout en avouant qu’elle se serait opposée à une quelconque protection, bien-sûr, puisqu’elle était amoureuse. Mais enfin n’est-ce pas le rôle des adultes et de la justice de protéger l’enfant contre lui-même, parfois ? V. déplore plus qu’elle n’accuse.
La fille avant la femme
Le livre aurait pu s’appeler « l’emprise ». Il s’appelle « le consentement », comme si le point de vue de la jeune fille prévalait encore sur celui de la femme. C’est qu’il en faut, du temps, pour se libérer de l’emprise, accepter que l’on a été abusée, et non aimée.
On ne peut pas parler, ici, de liberté. C’est ce qu’a fini par comprendre la femme qui nous raconte l’histoire de cette jeune fille qu’elle a été, après avoir passé une bonne partie de sa vie à réapprendre à devenir Sujet.
Catherine Verlaguet, auteure
Le Consentement de Vanessa Springora.
Editions Grasset.
Paru le 2 janvier 2020