Ma Chocha en double page

Avec l'aimable autorisation de Pierre Maillet, de Charles Bosson et Sugar Deli, L'Œil d'Olivier publie aujourd'hui le 14ème chapitre de l'autobiographie d'Holly Woodlawn.

Chapitre 14 de l’autobiographie d’ Holly Woodlawn.

Mmmmm, ce Frank Kolleogy était un sacré morceau de l’Empyrée des mâles et j’en aurais bien croqué. Je m’en serais même gavée. Mais étant une fille bien comme il faut je me suis rappelée à l’ordre. 

C’était un bel italien ombrageux avec des cheveux noirs et frisés, des yeux creusés, une moustache épaisse et un corps qui aurait pu être taillé par Michel-Ange. On aurait dit le héros d’un roman à l’eau de rose. Moi je me voyais plus comme une jeune fille innocente sortie desContes de Canterburyqui s’envoie une petite chope de bière la poitrine remontée jusqu’au menton, prête à se faire défoncer derrière un buisson. Mais du calme, cela n’est pas arrivé. Frank n’aimait pas les jeunes pucelles, il aimait les mecs. Nous formions un couple étonnant – lui le Hun, moi la princesse – mais il n’y avait rien d’autre entre nous qu’une belle amitié. Et comme j’avais emménagé chez lui à mon retour de New York je disais que nous étions mariés. Les mots « mari » et « femme » étaient assez facilement employés à l’époque…
Il vivait dans une jolie garçonnière au croisement de Sheridan Square et de la 10èmedans le West Village, décorée avec des motifs espagnols et au mur une tête de taureau et deux sabres de matadors. Il aimait tout de l’Espagne, moi compris !

Frank avait beaucoup de succès comme photographe de mode et de pub et occupait un studio sur la 57ème près de Carnegie Hall. Parmi ses clients il y avait de grosses agences de pub comme Saks Cinquième Avenue ou le groupement Revlon et des mannequins comme Jennifer O’Neil et Lauren Hutton. Il avait même fait des pochettes d’album pour les Doors.
Quand les dieux avaient créé Frank ils l’avaient enrobé de virilité avant de l’enduire de charme. « S’ils pouvaient choisir entre toutes les stars ils te choisiraient toi » disait-il en essayant de me convaincre pour poser pour National Lampoon. Mon chou, de toutes les stars aucune autre que moi ne l’aurait fait ! Mais Frank savait être persuasif et manier la flatterie. 
 « Mucho Macho » était le nom de l’article et je devais y poser en homme ! Je devais me prêter à des activités viriles comme monter un cheval, jouer aux cartes et boire des bières avec les gars ou encore faire un footing dans Central Park. Il y avait même l’idée de me montrer au pieu avec une femme ! Là ça dégénérait, j’ai dit à Frank. Je n’avais pas fini de me délecter du plaisir d’être une femme bon sang ! Je voulais montrer mes seins et rouler du cul. Monter un cheval n’entrait vraiment pas dans mes plans. Mais Frank ne lâchait pas l’affaire et dès que j’essayais de me passer un coup de maquillage en douce il m’arrêtait immédiatement et me disait : « Holly, non ! Ils veulent du naturel !
– Du naturel ! Du naturel ! Ben va au zoo dans le Bronx photographier les guenons qui agitent leurs mamelles ! »

Je suis née dans un pot de mascara et cette huile vient du pétrole, on fait pas plus naturel que ça ! 100% ressources naturelles américaines ! Je le suppliais de me laisser tranquille. 
 « Allez, juste une touche de poudre ? Une larme de Mascara ? J’ai besoin de couleur ! » Mais Frank refusait tout et insistait pour que mon visage reste nature.
Quand les photos furent publiées, l’article titrait « Le jeune latino de Manhattan Harold Santiago Rodrigues est un hombre qui sait ce que veulent les femmes… » Les photos de moi en homme servaient d’appât pour créer une ambiance jusqu’à la photo principale qui s’étalait sur une double page et là BAM ! Les lecteurs se prenaient ma féminité pour ainsi dire en pleine gueule. Une avalanche d’artifices et de glamour. J’étais allongée nue drapée dans une fourrure de lynx couvrant mes seins de mes bras et ma « chocha » recouverte de bijoux de chez Kenneth Lane. C’était un délice au-delà de tout ce que j’avais pu imaginer !
Pour le shooting de la page centrale, Frank avait emprunté pour 50000 dollars de fourrures Ben Kahn : un tapis de fourrure en lynx et un vison haute couturecouleur sable d’environ 20000 balles. On aurait pu imaginer que vu la valeur du machin ils allaient ajouter une petite écharpe en chinchilla mais tout ce qu’ils nous offrirent ce fut un garde du corps.

Après avoir photographié le nu, on s’est amusés un peu et il m’a laissé minauder devant l’objectif sous les explosions des ampoules de flash. Frank était inspiré et a proposé qu’on fasse une série à soumettre aux fourrures Blackgama pour leur campagne de pub « Qu’est-ce qui va le mieux à une icône ? » On avait de la fourrure à ne plus savoir qu’en faire et des bijoux pour une vie entière, j’étais prête pour ma carrière d’égérie !
Les photos étaient superbes. Cependant elles furent refusées par Blackgama à cause de ma personnalité trop controversée. Au fond ça ne me dérange pas mais quand même, qu’ils aillent se faire enculer ! Et puis j’avais ma propre peau de gorille Jacques Kaplan pour l’éternité et ça, c’était déjà une légende en soi. J’emmenais ce manteau partout où j’allais. Il était énorme, noir, sauvage et tout ce que j’avais à faire pour l’entretien c’était de le vaporiser de Black Flag une fois par semaine. Je ne m’étends pas sur les épingles à nourrice qui le faisaient tenir en un seul morceau, ça c’est l’influence Jackie Curtis. Qui aurait cru que ça deviendrait cool avec l’arrivée du punk. Jackie avait vu juste. En tout cas concernant la longévité de mon gorille. 
J’ai essayé de vite passer à autre chose mais en réalité le rejet de Blackgama m’avait déprimé. Je l’avais pris personnellement. J’aurais bien pris aussi personnellement leur manteau de fourrure. J’avais l’impression d’être haïe et considérée comme un monstre. Je déteste les rejets. C’est la plus grande peur de ma vie, avec peut-être le retour de la prohibition.

Après les derniers essais pour Blackgama je ne voyais plus de raisons de rester plus longtemps chez Frank. On avait bouclé le shooting pour National Lampoon et il était temps d’aller de l’avant. Le problème c’est que je n’avais rien de prévu. Frank suggéra que je parte en vacances à Porto Rico pour rendre visite à notre ami commun Robert Jones. C’était une excellente idée ! Robert vivait dans une villa luxuriante et serait ravi de me voir mais il y avait une petite problema. Pas de fric. Je dis à Frank que je n’avais pas de quoi payer le billet et à ma grande surprise il m’offrit l’aller-retour. J’en avais les tétons tout durs. Plutôt que de me jeter dans le caniveau il avait trouvé la manière la plus divine de se débarrasser de moi : m’envoyer prendre l’apéro dans les Antilles. Quelle classe !
En mettant mes bikinis et mes talons dans une valise j’étais assaillie par des visions débridées de plages tropicales quand soudain, le téléphone sonna. C’était la voix grave et profonde d’un dénommé Dallas. Pas Stella, ni Texas, mais Peter Dallas, et je n’avais pas la moindre idée de qui c’était. Mais sa voix était pas mal…
En guise d’introduction il me félicita pour ma performance dans Trash en me disant que je lui rappelais Anna Magnani, mon actrice italienne préférée, qui avait remporté l’Oscar de la meilleure actrice pour son rôle dans La Rose tatouée d’après Tennessee Williams. On ne pouvait pas viser plus haut en termes de compliment mais j’émis quelques doutes. Je pensais au départ qu’il voulait de l’argent. Et ça, je n’en avais pas ! Puis il m’expliqua qu’il était réalisateur et qu’il voulait que je joue dans son prochain film qui s’appellerait Superstar. J’ai cru comprendre alors que c’est lui qui allait me donner de l’argent… mais ce n’était pas ça non plus ! Il était aussi fauché que moi. Notre relation commençait sur une double négation.

Mais j’ai quand même attendu la fin de son monologue. Il m’expliqua l’histoire de son film, celle d’une femme au cœur brisé abandonnée au milieu de Central Park. Il voulait revenir à une forme de cinéma muet et j’étais la seule à pouvoir interpréter ce rôle.
J’ai répondu à Dallas que c’était plutôt intéressant mais que je partais à Porto Rico le lendemain et que je ne reviendrai pas avant plusieurs semaines. Il a répondu qu’il m’attendrait, mais m’invita à diner le soir même pour discuter du projet. Au mot « dîner à l’œil » j’ai lâché ma valise et répondu : « c’est parti ! » La bouffe m’intéressait, mais j’étais aussi curieuse de rencontrer l’homme qui se cachait derrière cette belle voix. 
Dallas était un homme marquant. Il était grand, avec des traits sombres, des épaules larges et charmant qui plus est. Il était d’origine grecque et bâti comme une de leurs colonnes. Grand et fort avec des longs cheveux noirs bouclés, de beaux yeux et des lèvres appétissantes. Mais surtout sa personnalité était pétillante. Quand il a sonné et que j’ai ouvert la porte j’ai failli m’évanouir. Son sourire était étincelant comme les néons de Broadway, il était doux, éloquent. Bref il était paaaaaaarfait.

On a pris un taxi pour aller dans un petit café italien et on s’est assis en terrasse, puis on a commandé des linguinis et bu du vin sous le clair de lune. Ensuite on s’est promenés à Central Park jusqu’à la fontaine Bethesda car c’était un des décors qu’il avait choisi pour son film. Et plus la soirée avançait plus nous partagions de choses. Nous étions deux artistes, il adorait la beauté et ça faisait longtemps qu’on ne m’avait pas adoré. Il voyait en moi une vraie tragédienne grecque et je n’allais pas le contredire. La tragédie ça me connaissait, si vous voyez ce que je veux dire. Et puis j’adorais l’exagération tragique de ces femmes tourmentées qui souffraient et pleuraient en se frappant les seins.
Dallas me dit que mes vacances lui permettraient de trouver le financement et le lendemain matin j’étais à JFK prête à m’envoler avec mes sacs, mes lotions, mes perruques, mes rajouts, mes chaussons et mes maracas. Me voilà partie pour le soleil de San Juan ! De retour dans le petit paradis de mon enfance ! Les batifolages tropicaux de ma jeunesse me manquaient, et je ne vous parle même pas des pina coladas qui m’attendaient sagement chez Robert. 
Il vivait dans le vieux San Juan, qui avait un charme fou avec ses petits pavés brillants qui reflétaient le soleil aveuglant des Caraïbes. Les pavés étaient bleus comme des lapis lazulis. Le pur charme méditerranéen. Les maisons dataient du 16èmesiècle ornées de tuiles importées d’Espagne et partout où je regardais je voyais des balcons d’où dégringolaient des cascades de plantes. 

Robert habitait dans une petite maison espagnole avec une cour intérieure. Il travaillait le soir comme barman dans un rade du coin et c’est là qu’un soir j’ai retrouvé par hasard Sam, le mec qui jouait le copain de Jackie dans Femmes révoltées. Ça alors ! On s’est embrassé, cajolé et il m’a présenté une petite blonde plantureuse avec plein de seins et plein de cheveux. Elle s’appelait Suzanne et avait un petit air de Marilyn Monroe
Sam et Suzanne étaient à Porto Rico pour l’été et vivaient dans le quartier touristique du Contado au milieu des casinos et des hôtels. Je traînais souvent  chez eux. On fumait de l’herbe, on se tapait quelques Quaaludes ou alors on allait à la plage. Un jour après avoir fini notre stock on a décidé d’aller faire du shopping. C’était un peu absurde car on était tous fauchés mais ça ne nous a pas empêché d’y aller. En passant devant une vitrine, Suzanne a vu une paire de chaussures et insista pour les essayer. 

Elles lui allaient à la perfection et elle se contemplait dans le miroir en faisant semblant d’hésiter. Elle a fini pas les rendre et on est ressorties du magasin en pensant que Sam nous suivait. Soudain il apparut devant nous avec un air extrêmement pressé et nous dit : « Venez ! Venez ! Dépêchez-vous ! » On ne comprenait pas ce qui lui arrivait jusqu’à ce qu’on voie la putain de paire de chaussures dissimulée sous sa veste. 
 « Mais qu’est-ce que tu fous avec ça ?demanda Suzanne.
– Je pensais que tu les voulais !
– Mais t’es malade, va les rendre ! »
Soudain la vieille femme du magasin sortit en furie et hurla avec son accent espagnol : « Voleurs ! Voleurs ! Mes chauchoures ! » On se regarda en panique avec Suzanne.
On prit nos jambes à nos cous pendant qu’elle continuait à nous suivre en courant. Mais Suzanne n’allait pas très vite avec ses semelles compensées (et son double D qui balançait en l’air).
 « Balance ces putains de chaussures Sam ! » criais-je alors qu’on détalait comme des rats.
 « Fais ce qu’on te dit ! » ajouta Suzanne.
Il s’exécuta, les lâcha dans un buisson, fila vers la droite et nous vers la gauche où on se retrouva nez à nez avec les flics et la vieille vendeuse.
 « Chest eux ! Chest eux ! » répétait-elle en nous pointant du doigt « Chest les voleurs de chauchoures ! » et avant de comprendre ce qu’il nous arrivait on nous avait flanqués dans le panier à salade où Sam nous attendait sagement. 
Je lui balançais à la gueule un « ravi de te revoir espèce d’enculé ! »

C’était horrible. On nous conduisit menottés jusqu’à un vieux donjon délabré tout droit sorti du Comte de Monte-Cristosurnommé « La Princessa ». Le bâtiment était effrayant et avait l’air de dater de l’arrivée de Christophe Colomb. On nous balança au milieu des violeurs, des assassins, des époux qui battaient leurs femmes, des ivrognes et des vagabonds. Aucune issue possible car l’endroit était délimité par un mur grillagé de dix mètres de haut. Je savais qu’il existait  un endroit dont on ne ressortait jamais une fois qu’on y était entré mais moi je pensais que c’était Bloomingdale’s.
J’étais terrifiée et persuadée que si je voulais revoir un jour ma liberté, j’allais devoir creuser un tunnel avec une petite cuillère façon Harriet Tubman.
Susanne aussi était pétrifiée. La petite blonde poupoupidou était cernée par des LESBIENNES ! Et je te parle pas de la lesbienne de salon mais du modèle taré, costaud, méchant et portoricain donc plus taquine qu’un piment oiseau. « T’approches de moi, j’te découpe ta face, sale pute ! » Je les entendais crier. Foutre Suzanne parmi ces cinglées c’était comme jeter un chrétien aux lions. Elle était jeune, douce et voluptueuse. On faisait pas mieux dans le genre apéritif. Les gardiens auraient aussi bien pu l’enrouler dans une tortilla, la fourrer de haricots rouges et la servir sur un plateau !

Nos cautions furent fixées à 100 dollars par personne. Et ils auraient aussi bien pu dire un million, aucun de nous n’aurait pu cracher dix cents. J’ai supplié et fini par obtenir qu’on appelle Robert. Il appela Frank à New York qui lui donna le nom de deux personnes ici. Ils ne nous connaissaient pas et pourtant, dès le lendemain, ils nous donnèrent l’argent pour sortir.
Nous avions quinze jours à attendre avant notre procès et on nous avait laissé en liberté provisoire sous la responsabilité des amis qui avaient payé notre caution. Cependant Sam n’attendit pas deux jours avant de se faire la malle. Il savait qu’il était coupable, il redoutait qu’on le jette à nouveau à « La Princessa » et qu’on balance la clé. Un matin on se réveilla et il n’était plus là. Il avait filé dans la nuit en nous abandonnant Suzanne et moi. On était coincés avec ces gens qui devenaient de plus en plus inquiétants.

Nous devions rester chez eux en attendant le procès, cela faisait partie du contrat et avant de comprendre ce qui nous arrivait ils s’étaient mis à nous traiter comme des esclaves. Je tondais la pelouse et Suzanne faisait la vaisselle. La seule liberté qu’ils nous octroyaient était de traverser la rue pour aller à la plage.
C’est d’ailleurs là-bas qu’un après-midi on s’est fait agresser par des garçons portoricains. Ils menaçaient de violer Suzanne alors je me suis précipité dans la maison pour attraper une ceinture Kenneth Lane en faux diamants et je suis revenue en fureur, agitant mon arme au-dessus de ma tête comme un guerrier Mongol en hurlant : « Laissez ma femme tranquille espèce d’enculés ou je vous massacre ! »
C’était suffisamment persuasif pour qu’ils dégagent.

Ironie du sort, Trashétait sorti cette semaine-là dans les salles de San Juan. Je pourrai peut-être enfin en profiter et prendre du bon temps. Suzanne appela un des journaux locaux pour dire que j’étais là pour promouvoir le film. Ils ont immédiatement envoyé un photographe pour faire une cover storysur moi. Et dans l’édition du dimanche on pouvait voir ma gueule en pleine page avec le titre « Une/Un local(e) à l’affiche ! » Si maman avait pu voir ça !
Retour à la réalité, notre procès arrivait à grands pas et nous n’avions pas un rond pour payer un avocat. Nous avons donc réussi à convaincre les amis de Frank de nous laisser rentrer à New York pour réunir l’argent. 
Une fois là-bas je n’ai pas pu retourner chez Frank, il avait trouvé une autre colocataire du coup je me suis installée avec Suzanne dans le West Village sur la 10èmerue entre la 4èmeet la 5èmeavenue. L’endroit était petit et Suzanne le partageait avec un Indien de Bombay qui vendait des bijoux dans la rue. On avait l’impression qu’un tremblement de terre venait de renverser l’appartement. Il y avait des fringues empilées partout. Sur le lit, sur le sol, partout où je me tournais : une pile. Et sous toutes ses piles vivait un sale petit caniche couleur pêche du nom de Danté.

Il nous fallut quelques Quaaludes pour nous remettre de notre fiasco portoricain. Une nuit, alors que j’étais bien défoncée, j’ai commencé à caresser le caniche pour finir par me rendre compte que je caressais Suzanne. Une chose menant à l’autre je vous laisse imaginer la suite…
J’avais arrêté les hormones et j’étais redevenu assez viril. Tous les matins je me réveillais avec Suzanne, je me retournais, je lui travaillais l’orifice, enfin je tamponnais sa méduse, bref appelez ça comme vous voulez mais Suzanne adorait ça ! Jambes en l’air, les seins rebondissants et le lit qui manquait de s’effondrer. Ça me surprend moi-même qu’on n’ait jamais écrasé le caniche. Son corps était pris de convulsions et elle frémissait sur le matelas comme un poulet qu’on étrangle. 

Pendant notre semaine à New York, je suis devenu son boy-friend et j’étais traversée par toutes sortes de sentiments. La plupart des gens trouvait qu’on allait bien ensemble. Estelle trouvait ça déviant et pas naturel. « Lesbienne ! » me criait-elle, « voilà ce que tu es devenue ! Qu’est-ce qui te prend ? Tu es une star et elle, elle, c’est une femme. Ça ne marchera jamais. Elle finira par te chourer tes bijoux. » Ça ne nous a pas empêché de continuer mais je nageais en pleine confusion.
J’ai réussi à soutirer un peu d’argent à Andy en lui faisant croire que c’était pour un loyer. Suzanne en a demandé à ses parents et à nous deux on eut assez pour retourner à Porto Rico assister au procès. Allez comprendre mais nos réservations n’étaient pas les bonnes et on se retrouva dans un autre vol qui arrivait cinq heures plus tard. On a essayé d’appeler les amis là-bas mais personne ne répondait, du coup quand ils se sont pointés à l’aéroport pour nous chercher nous n’étions pas là, ils ont paniqué et appelé les flics. 

À l’atterrissage c’était le chaos. Nous fûmes accueillies par les autorités, menottées, et jetées à l’arrière d’un véhicule blindé direction La Princessa.
La prison était encore plus funeste que la dernière fois. On nous traitait comme de vrais criminels et on me colla dans une cellule avec trente autres voyous endurcis. Un matin alors que je prenais ma douche un vieux mec visqueux m’attrape la jambe en lâchant un « viens par là, chérie » et entreprend de me monter comme un chien en rut. J’étais pas vraiment d’humeur pour un viol avant de manger alors j’ai attrapé un balai qui traînait au sol et je le lui ai fracassé sur la gueule. Il a hurlé de douleur, s’est tiré et n’a jamais recommencé. Ça a dissuadé aussi les autres prisonniers. Pour survivre dans ce trou il fallait constamment être sur la défensive et ne laisser personne vous marcher sur les pieds.
Après quelques jours j’ai fini par accepter mon destin. J’ai toujours essayé de regarder la vie du côté glamour et j’ai demandé à un des gardiens de m’apporter mon portfolio (que j’avais toujours avec moi, un précieux conseil de Jackie Curtis) pour le montrer aux garçons car j’étais de plus en plus sociable avec eux. Ça leur a cloué le bec et je suis devenue instantanément une célébrité dans la taule. Tout le monde voulait savoir comment c’était de travailler pour le cinéma et le théâtre et tous espéraient que je connaisse une de leurs stars préférées. Bien sûr je leur répondais que je les connaissais toutes, deCher à Diana Ross, et qu’on faisait même du shopping ensemble le week-end.

Ma nouvelle activité était donc de leur conter mes exploits avec Clint Eastwood ou alors comment Richard Burton m’avait quitté pour Liz Taylor. C’était évidemment un bouquet de mensonge mais ça faisait passer le temps, le leur comme le mien !
Le jour du procès arriva enfin. Ils reconnurent notre innocence et on fut  relâchées sur le champ. On prit un taxi devant le tribunal pour nous emmener à l’aéroport et so long Porto Rico !
Une fois à New York j’embrassais le tarmac, emménageais avec Suzanne et on redevint amants. C’était une relation étrange. Je ne l’aimais pas vraiment mais j’étais attirée par elle. Elle commença à porter mes robes, mes bijoux et mon maquillage tout en me faisant jouer le rôle du mec. Je ne me sentais pas vraiment à l’aise dans ce rôle, moi j’étais Holly Woodlawn, mais je restais car je n’avais pas vraiment d’autre endroit où aller. 

Un soir les Kinks organisèrent une fête à la Tavern Of The Green où je fus invitée. Leur dernier tube avait pour titre « Lola » et racontait l’histoire d’un travesti. Immédiatement j’ai dit à tout le monde que j’en étais l’inspiratrice. J’avais flairé le glamour et j’étais très excitée. Je pensais arriver en déesse grecque dans une robe de mousseline blanche et des tonnes de bijoux. En entrant dans la salle de bain pour me maquiller, Suzanne me dévisagea d’un air narquois et me demanda : « Et pourquoi tu fais ça, au juste ? Tu ne vas pas te maquiller ? T’es mon mec ! » Je ne savais pas quoi répondre. Mettre cette robe sans maquillage c’était de l’hérésie !
Suzanne avait une mauvaise influence sur ma santé mentale. J’avais l’impression de perdre mon identité, j’aimais le glamour, je n’aimais pas être un homme. Finalement j’ai laissé tomber la robe, les bijoux et le make upet je me suis pointée en salopette, baskets et surtout en faisant la gueule.

Estelle adorait le ballet et Noureev venait jouer Le Lac des Cygnes avec Margot Fonteyn au Metropolitan Opera au Lincoln Center. Ça me fait mal de le dire mais Margot ne rajeunissait pas. Passé la cinquantaine ce n’est plus si simple d’enchaîner les relevésen tutu. Le cygne était un peu agonisant…
Estelle était folle de Noureev. C’était une groupie de ballet si on peut dire, et elle le suivait partout. Elle a fait des pieds et des mains pour se rapprocher de son idole et elle a fini par y arriver. Un jour Estelle (dont le vrai nom, qu’elle haïssait, était Douglas) a grimpé sur l’arbre qui surplombait la scène pour voir Rudy répéter. Quand il a entendu le bruissement des feuilles, il a levé les yeux et prononcé avec sa belle voix grave de Russe : « Doglas ? Ez que zé toi ? » La branche se cassa et Estelle tomba en plein sur la scène. 
Elle était aussi amie du costumier deNoureevLarry Ray, qui avait réussi à chourer pour elle la vieille ceinture sale du danseur, ses chaussons et quelques autres reliques. Elle apprit aussi que Rudy était fan de moi et s’arrangea, le soir du ballet, pour qu’on le rencontre en backstageaprès la représentation. J’étais toute excitée. Je portais une robe blanche au dos nu et tous mes bijoux Kenneth Lane. J’avais même une ceinture en diamants pour relever ma poitrine et des bracelets en cristal pour orner mes poignets. 
Je ne pouvais pas savoir que Suzanne voyait les choses autrement.

J’étais toujours épatée de voir Estelle se préparer pour aller au ballet. Il se parait de grandes bottes noires, d’une veste de velours victorienne, d’un pantalon blanc. C’était ravissant. Il marchait la poitrine haute, les épaules droites et la pinte de vodka qui allait avec, garantissaient une attitude 100% royale.
De son côté, Suzanne enfilait une tunique de satin quand je suis entrée dans la salle de bain pour me maquiller. Elle se retourna vers Estelle et demanda dédaigneusement : « Et pourquoi il met du make up, lui ? » Estelle que cela agaçait suprêmement répondit : « Suzanne, pourquoi est-ce qu’IL met du make up ? Eh bien parce qu’IL est Holly Woodlawn ! Et toi c’est quoi ton excuse ?»

Pas besoin d’en dire plus. Suzanne était fâchée, Estelle était livide et je profitais du calme pour redresser mes faux cils. Mais j’étais tellement dégoûtée que je suis allée au Lincoln Center en salopette car c’était le seul vêtement masculin que je possédais. Tout le monde était en costard, en fourrure, en diamants et moi je ressemblais à rien. Cernée par la grandeur, l’opulence et  Suzanne qui portait mes bijoux, je me sentais misérable. J’ai même failli lui arracher son collier de diamants pour le mettre. J’avais quand même eu la présence d’esprit de prendre avec moi des photos dédicacées de Holly Woodlawn telle qu’elle était vraiment : en fourrure de gorille et tapissée de bijoux.
Le lac des Cygnes
est l’un des plus brillants ballets que j’ai jamais vu. Peut-être aussi parce qu’en dehors du Trocadero de Monte Carlodansé par une troupe de mecs, c’est le premier ballet que je voyais. Margot Fonteyn et Rudolf Noureev étaient exceptionnels. Et après trente-deux mille rappels, Larry Ray vint nous chercher pour nous emmener. On le suivit jusqu’aux loges où une file ininterrompue de célébrités menées par Jackie O. patientait pour rendre hommage aux divinités. 

Larry frappa délicatement et passa sa tête à travers la porte. J’attendais et mon cœur s’est emballé quand j’entendis cette voix inimitable demander : « Où est Holly ? » J’ai cru m’évanouir. Estelle et Suzanne s’agrippèrent à mon coude et nous voilà dans la loge où Noureev attrapait un peignoir de soie pour couvrir son corps nu. « Rudy, » dit Larry « je te présente Holly Woodlawn »
 « Vous étiez magnifique. Je n’ai jamais vu de ma vie des jambes s’élever aussi haut. Vos jetés sont absolument je ne sais quoi. Mon Dieu, quelles arabesques ! » J’ai tenté de placer tout le jargon de danse que j’avais en stock mais sans avoir la moindre idée de ce que je disais. 
 « Votre français est charmant » dit-il en souriant. Puis je lui tendis l’enveloppe qu’il ouvrit avec soin pour en sortir la photo de moi en noir et blanc, nue et recouverte d’une peau de gorille et de diamants. 
 « C’est pour moi ? J’adore ! »
Il éclata de rire.
 « Allons boire des Stoli un soir et nous continuerons cette conversation, qu’en dites-vous ?
– Oh oui ma chère, il le faut ! »

La nuit avait mal commencée mais s’était terminée au mieux. 
Quelques jours plus tard on m’invita à une soirée élégante de Monique Van Vooran, une autre blonde glamour et amie New yorkaise de Rudy qui jouerait plus tard dans le Frankenstein de Warhol, en l’honneur de Noureev dans un restau chic du centre. À nouveau j’emmenais Suzanne avec moi avec mes bijoux sur son cou et mon affreuse salopette. Mais qu’allaient penser tous ces gens ? Que j’en avais fini avec ma carrière de star et que j’élevais des vaches ? Si j’étais une star du grand écran, que faisait cette blonde décolorée à mes côtés ? Il allait falloir faire quelque chose.

Traduction française de Charles Bosson, Sugar Deli et Pierre Maillet

Chapitre 14 d’ A Low Life In High Heels
The Holly Woodlawn Story

Autobiographie inédite en France de Holly Woodlawn
 (écrite en collaboration avec Jeffrey Copeland)

Avec l’aimable autorisation de Pierre Maillet, Charles Bosson et Sugar Deli – Ce texte a servi de base au spectacle One Night With Holly Woodlawn ? de Pierre MailletHoward Hughes, Billy Jet Pilot, Luca Fiorello et Thomas Nicolle. En tournée la saison prochaine.

Crédit photo © DR et © Tristan Jeanne-Valès

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