Confiné au-dessous d’un toit parisien, la bibliothèque qui emplit un mur entier de la chambre est une belle échappatoire. Plonger dans les ouvrages qu’elle renferme, repenser à quelques lignes d’un roman, donne l’espoir d’un jour ailleurs, d’un monde différent. Toxique de Sagan a, par sa prose, sa fureur, son humour, une force brutale, salvatrice, qui fait du bien à l’âme. Relecture.
Dans la bibliothèque, un livre de poche jaune vif attire l’œil. Il ne demande qu’à être distingué, rouvert. C’est Toxique de Françoise Sagan. Réimprimé en 2009, ce journal est le récit d’un moment singulier, d’un combat, celui d’une femme réchappée par miracle d’un accident qui aurait pu être mortel, d’une survivante aux prises avec un succédanée de la morphine.
Un accident
Sur la pochette, des silhouettes d’arbres sans feuilles, esquissées par Bernard Buffet, rappelle le drame, mais aussi l’enfermement. On est en 1957. Trois ans ont passé depuis le succès fulgurant de son premier roman, Bonjour tristesse. Sa plume acérée, mélancolique, son humour pince sans-rire, ont su toucher le cœur des lecteurs, de la critique. Sa liberté de ton fait scandale. La légende Sagan est lancée. Cheveux bouclés, courts, la jeune auteure, la vingtaine à peine, brûle la vie par les deux bouts. Menue, elle se passionne pour les bolides. Son Aston Martin, elle la débride, la pousse dans les virages. Elle fuse, jamais ne s’arrête. Sur une route de campagne, non loin de Milly-la-Forêt, un beau jour d’avril, le pied au plancher, elle fait une sortie de route, là voilà dans le décor.
Un journal pour ne pas sombrer
Les blessures sont graves. La faucheuse rode, mais elle devra attendre. La jeune femme s’en sort. Elle souffre le martyr. Les douleurs sont « suffisamment désagréables » pour qu’on lui administre « quotidiennement un succédané de la morphine appelé le 875 (Palfium). » C’est le début de la dépendance. Une seule solution s’impose une cure de désintox. C’est le début d’une aventure humaine, d’une lutte acharnée. Jour après jour, Françoise Sagan consigne dans un journal ses pensées, ses ressentis. C’est un remède à l’ennui tout autant qu’à la peur qu’elle a vissée au corps. Le vide, la souffrance, les malades qui l’entourent, trop peur pour elle. Elle a besoin de s’évader, de se rassurer, de se raccrocher à la réalité de l’écriture.
Une portrait en creux
Le texte est brûlant, radical. Il est composé de fragments de vie, d’états d’âme. Les chapitres courts dessinent en creux les contours d’une personnalité unique, celle de Sagan. Vivante, vibrante, elle observe les autres tout en dévoilant un peu de ce qu’elle est. Femme chat, effarouchée autant qu’indépendante, la romancière se livre sans fard, avec lucidité entre les crises de manque. Soulignant la gravité de l’instant, les croquis à l’encre noire de Buffet, révèle un autre pan de la romancière, sa fraicheur, sa soif de vivre.
Ecrire pour demain
Édité un première fois en 1964, puis ressorti, il y a un peu plus de 10 ans, un 14 octobre, jour de mon anniversaire, cette lettre ouverte a, en ses jours étranges, confinés, une saveur toute particulière. Il parle d’une résurrection, d’une appétence, d’une exultation. La mort, oui est omniprésente, la drogue, jamais elle n’en sortira vraiment, mais l’écriture a été son salut. A nous de réinventer demain, de trouver cette force, cette vitalité, qui fera l’après.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Toxique de Françoise Sagan
Éditions Stock
Éditions Livre de Poche
Crédit photos © DR
Effectivement c’est le temps de redécouvrir sa bibliothèque, il y a toujours un ouvrage qui a été acheté un jour et qui n’a pas eu nos faveurs et donc laissé là. Pour ceux qui n’ont pas de bibliothèque, heureusement les librairies sont maintenant « ouvertes ». Mettons le entre parenthèse car les commandes se font par internet et il faut se déplacer sur le seuil de l’établissement pour prendre son ouvrage. Et pourquoi « Toxique » de Sagan, un journal très prenant.