Chapitre 18 de l’autobiographie d’ Holly Woodlawn.
Pendant l’été 1974, j’ai joué pour une soirée au profit de l’association Pines on Fire Island, organisée par Laura Eastman. On ne pouvait pas faire plus gay ! Je portais la robe en crêpe de soie sans bretelles désignée par Edith Head pour Lana Turner dans The Prodigal. Lana jouait le rôle de la haute prêtresse d’Asarte qui, juste avant d’être balancée dans les flammes, déclarait : « Quand mon peuple me verra, toute cette folie prendra fin. » J’avais vu le film à dix ans et ça avait changé ma vie. Je savais au fond de moi qu’un jour je porterai cette robe. Mais qui aurait pensé que cette fois la folie serait encouragée par le peuple !
La robe
était fabuleuse, elle avait une ceinture de diamants et une bande de tissu
au-dessus des épaules qui descendait sur le derrière et j’ai dû me débattre
pour y faire entrer en même temps mon cul et mes seins. À la fin je ressemblais
à une fille de chez Ziegler.
Pendant
cet été étouffant, Corely loua une maison à deux étages sur Fire Island. Devant
chez nous c’était un défilé incessant de photographes de mode, de directeurs
artistiques, de maquilleurs et de mannequins, sans mentionner une pincée de
stars ici et là. Parmi eux Liza Minnelli et Pat Ast, qui
traînaient souvent chez Halston.
Pat
sur la plage, c’était une sorte de spectacle à l’œil. Les jambes plantées dans
le sable, le visage plus lumineux qu’un néon de Times Square, ses yeux immenses
et brillants offerts aux deux Adonis qui l’accompagnaient… Elle agitait son cul
en chantonnant de l’opéra à qui voulait l’entendre. Elle était – et est encore – une
grande chanteuse, et je la rejoignais sur la plage pour qu’elle me donne des
leçons. Elle pouvait atteindre des notes incroyables et donner l’impression que
tout son corps vibrait.
Je
passais généralement ma semaine à Manhattan et le week-end à Fire Island avec
Corely. J’habitais près de Sutton Place dans un petit quartier branché près du
pont de la 59ème. Greta Garbo habitait juste en face, avec au coin de la rue un showroom Rolls-Royce et des restaus
mexicains. Des stars de ciné, l’opulence et des haricots réchauffés, que
demander de plus ?
En bas de la
rue il y avait le Gypsy’s, un petit bar où je passais mes soirées off. C’était
sympa, intime, on y croisait des agents de Hollywood et de Broadway. La
dénommée Gypsy était une toquée qui dormait en costume d’homme et talons hauts mais
qui tenait l’endroit d’une main de fer.
Pendant
que je me défonçais tranquille au bar ou sur l’île, Miss Curtis avait
finalement retrouvé ses esprits et était redevenue un homme. On s’est revues de
temps en temps après la mort de Candy mais nous n’avions plus rien en commun.
Néanmoins on a refait une fois un truc ensemble au centre culturel
(anciennement appelé le musée Huntington Hartford) sur Columbus Circle, un show
qui s’appelait Cabaret In The Sky.
Jackie n’avait jamais été aussi belle. Elle avait arrêté la drogue, elle avait
appris son texte, c’était un bonheur. Peu de temps après ça, elle a fait ses
adieux au travestissement. Et voilà qu’il était entré dans sa phase « James
Dean ». Curtis était sacrément mignon en jean et t-shirt avec une
clope au bec et les cheveux coiffés en arrière. C’était culotté comme
changement et les gens l’ont apprécié.
C’est
aussi à ce moment que Bill Corely eut une nouvelle grande idée pour moi.
J’avais 29 ans et je commençais à m’ennuyer de refaire toujours la même chose, il
décida qu’il était temps de devenir plus mainstream
si on voulait sortir du cabaret. Pour lui, cela voulait dire parler à l’Américain moyen par
l’intermédiaire d’un disque. La mode était au disco et avec un bon arrangeur,
de chouettes paroles et un beat entraînant, n’importe qui pouvait devenir une
disco queen – enfin c’est ce qu’il pensait. Sylvester venait de faire un carton
et Corely voulait qu’on l’imite. On se calma sur le glamour et on se mit à
cultiver pour moi un look plus androgyne. C’était censé me propulser vers le
succès même si moi j’avais surtout peur de me faire arrêter. Et puis on avait
d’interminables débats sur quelle queen je devais être.
« Sylvester est une folle, je lui
lançais.
–
Mais il porte des pantalons
–
Okay, comme Marlene Dietrich depuis trente ans ! C’est quoi la différence ? »
Pour les femmes la grande mode de
l’époque c’était la tenue de parachute et on en trouvait de toutes les couleurs
– flamant rose, vert électrique, lavande… J’ai donc quitté mes belles robes
pour des combis, allégé le make-up et coupé mes cheveux. Résultat ? Je
ressemblais à un Martien pédé et les gens n’ont pas accroché.
Au lieu de remonter le courant on l’a
redescendu, et à toute vitesse ! Corely voulait que je fasse de la disco
mais je chantais toujours au piano. Est-ce qu’on avait déjà vu Sylvester sur un
piano ? Le mec chantait sur des instrus qui avaient l’air de venir de l’espace.
Moi je n’avais pas la musique pour chanter et cela n’avait aucun sens de le
faire dans une esthétique de cabaret.
Ma mère et mon père sont des gens
merveilleux, ils m’ont soutenue pendant toutes les épreuves de ma vie
tumultueuse. Beaucoup de parents abandonnent leurs enfants quand ils choisissent des modes
de vie alternatifs. Les miens ont choisi d’agiter leurs bras en l’air, de
crier, de s’arracher les cheveux. Ils devaient penser que je reviendrai dans le
droit chemin, mais je l’ai plutôt évité pendant vingt ans.
Cependant, malgré toutes les peines et les
tracas que je leur ai causé pendant ma jeunesse ils ne m’ont jamais condamnée
ou rejetée. Ils ne comprenaient pas mon mode de vie, mais ils l’acceptaient.
Même avec un boa et des talons hauts j’étais encore leur fils.
Maman et papa m’ont envoyé un billet
aller simple pour New York, et j’ai appelé Lenny Dean pour lui dire que
j’avais besoin d’un endroit où crécher. Il a appelé Richard Banks, de
retour à New York, il s’est arrangé pour que je reste chez lui et son ami Shawn
dans leur maison luxueuse de la 5ème avenue. Je suis rentrée à New York en
déesse brisée. Mon flop de San Francisco était mémorable, j’avais cramé mes
fourrures de gorille et ma confiance en moi. Si quelqu’un avait besoin
d’appeler la ligne des suicidaires, c’était bien moi. Mais j’avais perdu le num’.
Pendant ce temps, à l’autre bout de la
ville, Ron Link mettait en scène Women
Behind Bars, la pièce de Tom Eyen, au théâtre Truck & Warehouse
avec Divine dans le rôle principal : la lesbienne en chef d’une
prison pour femmes. C’était juste en face de La Mama, un de mes QG de mes
années théâtre avec Jackie Curtis. La pièce se jouait depuis trois ans et, à la
dernière minute, ils ont eu besoin d’une doublure pour Divine. Ron Link
m’avait proposé un rôle dans le spectacle trois ans auparavant mais la paie
était misérable et Corely avait refusé.
Quand Ron apprit que j’étais en ville, il me proposa de doubler Divine. Puis il pimenta sa proposition en me disant que Billy Edgar, l’acteur qui jouait sa copine, avait l’intention de quitter le show. Si je jouais le jeu, je pourrais récupérer le rôle après son départ. J’ai accepté.
J’avais rencontré Divine quelques années auparavant à Philadelphie. « Divvie » comme je me suis mise à l’appeler des années plus tard, était venue me voir au club où je jouais. Elle était en promo à l’époque pour le film Female Trouble de John Waters. On s’est retrouvées plus tard dans une fête et j’étais très intimidée par cette grosse bête à moitié chauve aux yeux maquillés comme Vampira, vêtue d’une minijupe léopard et d’un petit porte-monnaie rouge. Je venais de voir le film et lui dis que j’adorais la scène où son personnage attaque ses parents car elle ne trouve plus ses talons sous son lit. Elle me répondit un « merci » hautain et s’en alla. Elle pouvait être comme ça parfois, une grosse pute glaciale.
Women Behind Bars était une pièce inspirée du film Caged sur des femmes hystériques en prison. Je l’avais vu pour la première fois à D.C. et c’était de la folie. Tous les jours j’allais répéter au Truck & Warehouse avec les filles, mais Divine ne venait pas. C’est difficile d’intégrer une équipe qui a déjà joué pendant trois ans mais j’avais appris mon texte en une semaine et j’ai hérité du rôle momentanément quand Divine s’est cassé la cheville et n’arrivait plus à marcher.
Puis Billy Edgar a arrêté et j’ai commencé à jouer le personnage de Louise avec Divine. Le show s’essoufflait mais les producteurs faisaient tout ce qu’ils pouvaient pour que ça continue. Divine a fini par arrêter à son tour et on commença à dire que j’allais reprendre le rôle. Mais à la fin les producteurs ne payaient plus. Un soir, juste avant de jouer, j’ai refusé de monter sur scène si je n’avais pas mon chèque. Pour se venger, ils ont appelé tous les journalistes à ragots pour leur dire que j’étais trop bourrée pour jouer et qu’ils avaient été obligés de se séparer de moi. J’ai pourtant joué ce soir-là et, le lendemain, j’ai passé un petit coup de fil à Arthur Bell du Village Voice et voilà ce qu’il a écrit :
« J’ai reçu ce matin un coup de fil pour le moins énervé de Holly Woodlawn qui m’a expliqué pourquoi elle ne succèdera pas à Divine dans la suite de l’exploitation de Women Behind Bars. Elle déclare n’avoir pas été payée pour son travail depuis plus de deux semaines. Elle dit aussi qu’ils l’auraient menacée de lui briser les genoux si elle continuait à réclamer son salaire. « Je vais leur faire un procès ! » a ajouté Holly furieuse. « Toutes les filles témoigneront en ma faveur. Ron Link le producteur affirme que Holly a été licenciée car elle buvait trop et avait gâché une représentation. »
Peu de temps après, j’ai repris le
cabaret au club Scene One et j’ai mis une annonce dans VARIETY : « Holly
Woodlawn, de retour de la côte Ouest, est à la recherche de rôles
(TV, Cinéma, cabaret) ». Je me suis dit que si Bette Davis l’avait fait et
décroché son rôle dans Qu’est-il arrivé à
Baby Jane ?, ça me vaudrait bien
un petit boulot quelque part. Mais personne n’a appelé et la question finit par
se poser d’elle-même : « Qu’était-il arrivé à Holly Woodlawn ? »
Fred Martini m’a trouvé un appart avec Mitchell St John sur la
77ème et la première avenue. C’était un petit endroit désuet avec un jardin
pour la somme modique de 350 dollars par mois. Il travaillait comme choriste
dans un cabaret français qui s’appelait L’Ange
Bleu. Il était blond aux yeux bleus et très beau. Un soir, je suis allé le
voir chanter. Soudain, le maître de cérémonie fit une annonce avec un fort
accent français : « Mesdames et messieurs nous avons parmi nous ce soir
une grande star ! L’actrice du film TRASH d’Andy Warhol, je vous prie d’applaudir
Miss Holly Woodlawn ! »
Ils pointèrent une douche de lumière sur
moi et je leur fis des petits saluts. Puis la lumière baissa et je vis
apparaître devant moi une silhouette sublime. C’était Little Chrysis, qui avait
changé de nom pour « International Chrysis ». C’était elle la star du
spectacle ! Elle était drapée de paillettes et de plumes et scintillait dans la
lumière blanche. Elle n’était plus du tout la petite boulotte que j’avais
rencontrée dans le Village des années plus tôt. Elle était devenue une vraie
showgirl et tous les soirs une file d’hommes l’attendaient devant sa loge dans
l’espoir de la rencontrer. Et là je vous parle de diplomates et de sénateurs,
hein ! Il y eut même un Cheik !
Ce soir-là après le show, une des filles
est venue me dire qu’un homme voulait me rencontrer, et qu’il avait l’air
salement riche. « Désolée, j’ai répondu. Je suis une artiste, pas
une pute ». J’étais odieuse.
Peu de temps après, je regardais la télé
dans mon salon quand on annonça au journal que L’Ange Bleu était en flammes et que plusieurs personnes étaient
mortes. Heureusement ni Mitchell, ni Chrysis n’y étaient ce soir-là. Mitchell
n’ayant plus de boulot après cet horrible incident, il décida de devenir
coiffeur, et Freddy lui ouvrit son salon. Mais Mitchell changea subitement
d’idée et dit : « Si on ouvrait plutôt un club pour Holly ? ».
Ils ont donc fermé le salon et ouvert un club qu’ils ont appelé Freddy’s. Fred
voulait l’appeler Mitchell’s mais Mitchell ne voulait pas de cette
responsabilité. Moi j’ai proposé Holly’s, mais ils ont fait comme s’ils
n’entendaient pas.
Très vite, le Freddy’s est devenu un
cabaret branché, un repaire pour les célébrités de Broadway et de Hollywood.
Mais bizarrement je n’y ai joué que trois ans plus tard, ma vie à ce moment-là,
c’était plutôt la fête. Le nouveau truc à la mode dans les années 70, c’était les
soirées coke : elles étaient partout. La première fois c’était dans un
loft somptueux sur Park Avenue. Je voyais les gens aller les uns après les
autres au salon, pour taper dans un grand bol de cocaïne d’où pendait des
pailles en métal. Sur le rebord, des petits bonbons à la menthe et des petites
cuillères en or permettant aux invités de se servir autant qu’ils voulaient.
La coke c’était chic et, en raison de son prix élevé, ça accompagnait les soirées les plus select. Tout le monde en prenait, les jeunes et les vieux. Les jeunes y puisaient de l’assurance, les vieux un coup de jeunesse et c’était facile à prendre. Personne ne se doutait des ravages que ça allait causer.
Un soir, je me trouvais aux Continental Baths où Mitchell était aussi, accompagné d’une Sud-Américaine folle furieuse qui s’appelait Carmen d’Alessio. C’était un papillon de nuit au sourire flamboyant et elle connaissait tout le monde. Elle faisait aussi l’entremetteuse entre des mannequins et des hommes riches, hétéros ou gays.
« Chérie, me dit Carmen avec son fort accent espagnol. Je suis la nouvelle George Paul Rozzel (George était le plus célèbre hôte de la ville concernant les soirées), j’ai deux amis très riches qui ouvrent un club au Ed Sullivan Theatre et il faut que tu viennes. Il y aura des lumières, du son, de la bouffe, et on a besoin de gens fabuleux comme toi. Dis-moi et je te mets sur la liste ! »
Le Studio 54 était le temple des soirées disco newyorkaises. Ils avaient dépensé des centaines de milliers de dollars pour le construire dans le Ed Sullivan Theatre et c’était devenu le club le plus hot de la planète. Les DJ’s les plus prestigieux venaient mixer et les serveurs étaient des athlètes en shorts moulants. L’usage de la cocaïne était de règle et, de temps en temps, une grande lune illuminée descendait du plafond avec une grande paille qui lui sortait du nez. On s’envoyait de la coke et de l’amylnitrate (ou poppers).
Les éclairages disco avaient été
littéralement inventés pour le Studio 54, et de grands tubes lumineux montaient
et redescendaient du sol. C’était l’euphorie perpétuelle. Le club était devenu
si populaire que les physios refusaient de plus en plus de monde. Certains les
payaient pour entrer, ce qui devint même de rigueur, mais seules les stars
étaient assurées d’y rentrer. On pouvait refuser des gens juste parce qu’on
n’aimait pas leurs looks. C’était le comble de la superficialité mais tous les
gens du Queens et du New Jersey s’y précipitaient et descendaient à New York le
week-end pour passer des heures à faire la queue sapés en robes disco de polyester
ou comme John Travolta dans La Fièvre du Samedi
soir.
Les célébrités avaient fait de cet
endroit ce qu’il était devenu, les Liz Taylor, les Liza Minnelli,
les Bianca Jagger. Les taxis et les limousines congestionnaient la rue
et on entendait hurler de toutes parts : « Laissez-moi entrer ! Laissez-moi
entrer ! » à l’adresse de David, le physio, un grand blanc hétéro qui
ne se prenait pas pour de la merde.
Quand arrivait une star, la foule se
pressait pour voir et les paparazzi devenaient dingues. L’une des grandes parts
du plaisir était déjà l’entrée dans la boîte. Asha et moi on pouvait patienter
des heures dans la limousine pour ces quelques minutes de bonheur. Le chauffeur
nous ouvrait la porte et on sortait en fourrure et recouverts de bijoux pour se
prendre une douche de regards et de flashs.
La foule s’écartait et Steve Rubell, l’un
des patrons, nous accueillait. Parfois, je repérais un beau gosse dans la foule
et je le faisais entrer à mon bras. « Il est avec moi… Oh et lui
aussi… Et lui aussi ! » Je les ramassais comme des petites fleurs pour
mon bouquet et tout le monde se pressait en lançant : « Moi aussi…
Moi aussi je suis avec elle ! »
Pour les soirées spéciales du Studio 54,
on recevait des invitations en mains propres par quelqu’un qui portait déjà le
déguisement de la soirée. Un jour, Steve Rubell a fait une soirée jungle. Et
bien il a loué une girafe, des singes, et plein d’autres animaux pour se
balader dans les décors. C’était hyper élaboré : de grands arbres avec des
feuilles tout le long des branches, des grappes de raisin et tous les serveurs
habillés en Tarzan !
Au sous-sol, Steve Rubbell
invitait les stars à venir taper de la coke. Bianca y passait sa vie et elle se
comportait comme la sale gamine qu’elle était devenue. Quelqu’un aurait dû lui
filer une bonne paire de claques. On prenait tous les risques au Studio 54, on y
voyait les gens se faire des lignes et sniffer dans les couloirs, les toilettes,
même derrière le bar. Tout le monde baisait dans les chiottes.
Le sexe dans les toilettes, c’était
absolument normal. Tout le monde le faisait avec tout le monde, les hommes avec
les hommes, les femmes avec les femmes et ça ne choquait personne. Un soir Asha
a regardé à travers la porte une jolie blonde se faire bouffer la chatte, la
robe relevée au-dessus des seins et les mains accrochées de part et d’autre des
chiottes. On n’a évidemment rien dit mais on mourait de savoir d’où venait sa
fabuleuse robe.
Un matin, après une orgie de coke et de
champagne, j’ai reçu le coup de fil d’un producteur qui me demandait si je
voulais participer au talk-show de Geraldo Rivera. Je ne savais pas trop
ce qu’ils attendaient de moi mais le fait qu’ils me proposent 350 dollars ne
m’a pas fait hésiter longtemps. Plus tard dans la semaine j’ai eu une interview
préparatoire avec le producteur de l’émission et je lui ai raconté toute ma
vie.
Le jour suivant on enregistrait et je
n’avais toujours pas la moindre idée de ce qu’on allait me demander. J’avais
passé cinq heures à m’habiller et me maquiller. On me fit attendre dans une
pièce pendant des plombes et on finit enfin par m’expliquer que le show
abordait le thème de la sexualité. Les autres invités étaient Christine
Jorgenson (la célèbre transsexuelle), une bisexuelle et des stars du porno.
Je me suis dit : « Mais qu’est-ce que tu fous là ? » mais le
vin qu’on nous offrait en loges m’avait mise dans une humeur plutôt festive et
j’étais prête à livrer tous mes petits secrets de beauté.
À la place on me bombarda des questions les plus saugrenues du genre : « À quatre ans est-ce que tu voulais déjà être une femme ? » ou encore « Est-ce que ça t’excite de mettre des robes de femmes ? » Je n’en revenais pas. Toutes les questions se situaient au-dessous de la ceinture mais j’avais appris une bonne leçon de la part de Bill Corely : ne jamais se laisser démonter, et toujours reprendre la main en faisant l’idiote.
« Holly qu’est-ce que ça fait d’être une femme emprisonnée dans un corps d’homme ?
– Je ne suis pas prisonnière d’un corps d’homme, je suis prisonnière de New York !
– Mais vous considérez-vous plus homme ou plus femme ?
– Chéri, quelle différence ça peut bien faire, tant qu’on est fabuleuse ! »
Et clac. Coupure pub.
Traduction française de Charles Bosson, Sugar Deli et Pierre Maillet
Chapitre 18 d’ A Low Life In High Heels
The Holly Woodlawn Story
Autobiographie inédite en France de Holly Woodlawn
(écrite en collaboration avec Jeffrey Copeland)
Avec l’aimable autorisation de Pierre Maillet, Charles Bosson et Sugar Deli – Ce texte a servi de base au spectacle One Night With Holly Woodlawn ? de Pierre Maillet, Howard Hughes, Billy Jet Pilot, Luca Fiorello et Thomas Nicolle. En tournée la saison prochaine.
Crédit photos © Bruno Geslin