La décision est tombée comme un couperet. L’édition 2020, particulièrement alléchante, du Printemps des comédiens, est annulée. Son directeur, Jean Varela s’explique sur ce choix sanitaire et salutaire tout en rêvant à demain.
Pourquoi annuler ?
Jean Varela : C’est avant tout une analyse de la situation tant sanitaire que structurelle, une réflexion relative au calendrier. L’ouverture du festival étant le 28 mai, date qui parait lointaine, mais qui est extrêmement proche quand il s’agit de production d’un spectacle vivant, il semblait (quasiment) impossible que toutes les conditions soient réunies pour recevoir les équipes, permettre un temps de répétions et accueillir les spectateurs – toujours confinés à cette heure. En effet, dans l’idéal, les premiers artistes auraient dû arriver à Montpellier autour du 15 mai et pouvoir jouir des lieux dans les jours suivants. Ce qui à l’heure actuelle est totalement impensable. Nous avons donc pris le temps de nous concerter avec les artistes, qui ne répètent plus depuis presque un mois, les partenaires publics, comme la métropole, le département, la région, l’état, et les équipes du Printemps pour savoir ce qu’il était le plus judicieux de faire. Très vite, il nous est apparu à tous qu’il était impossible de présenter le programme tel qu’il avait été conçu. Par ailleurs, nous n’avions aucune possibilité de report, la plupart des établissements qui accueillent des spectacles du Printemps étant occupés à d’autres dates. Inéluctablement, malheureusement, l’annulation est apparue comme la seule et unique solution. D’autant que la programmation se concevant dans une globalité, il était impossible de tenter une mini-édition qui n’aurait pas eu de cohésion.
Est-il envisagé de reporter certaines pièces de cette programmation riche autant qu’éclectique ?
Jean Varela : Cette année, nous n’avions en effet pas moins de dix-huit créations. Ce qui était un vrai challenge. Pour ce qui est des reports ou des annulations, c’est du cas par cas. Nous travaillons en étroite collaboration avec les metteurs en scène. L’important pour nous est d’accompagner déjà tous les artistes auprès desquels nous nous étions engagés. Nous serons aux côtés de toutes les coproductions auxquelles nous participons. Ensuite, nous allons travailler avec chacun d’entre eux pour savoir comment les créations vont se faire, où elles vont se faire et surtout comment elles vont évoluer dans le temps. Nous devons être particulièrement vigilants au risque de thrombose. A tout vouloir reporter, préserver, décaler, nous risquons à terme de mettre en péril des projets qui devaient voir le jour à la rentrée ou sur des saisons futures. Plutôt que sauver coûte que coûte toutes les productions, je crois que notre devoir avant tout est d’accompagner, d’aider et protéger les équipes artistiques. Tout cela va se construire au fil du temps avec les artistes, en fonction de leur envie, de leur désir. Cette période, qui s’ouvre à nous dès aujourd’hui, va demander de la réactivité car nous allons tous ensemble faire des choix, garder, modifier ou changer les projets. Certains vont s’avérer caducs, d’autre on l’espère vont émerger de cette période fort étrange. Pour les équipes travaillant sur le territoire, qui sont accompagnées par la métropole ou des structures culturelles locales, il est tout à fait possible voire envisageable sous certaines conditions qu’elles trouvent refuge dans la saison à venir du centre dramatique ou de la maison Jean Vilar. Dans ce cas-là, nous les accompagnerons de notre mieux.
Qu’en est-il notamment du très attendu Utopolis, spectacle du collectif berlinois Rimini Protokoll ?
Jean Varela : En raison de sa singularité, nous avions dû l’annuler bien avant de prendre la décision de supprimer l’ensemble de l’édition 2020. Leur projet étant participatif, il nécessite tout un programme en amont et tout particulièrement en relation avec les commerçants de la ville. En effet, les spectateurs sont invités par groupe de huit à se rendre dans plus de 45 lieux, qui vont de l’épicerie à un cabinet d’avocats en passant par une agence immobilière. Pour que tout cela soit possible, tout un travail était en cours de réalisation pour permettre à terme aux commerçants aux propriétaires des différents endroits sélectionnés d’interagir avec le public. La plupart des rencontres n’ont pu avoir lieu. Le confinement ayant rendu toute réunion impossible. Du coup, au vu de sa portée symbolique pour les montpelliérains, de leur forte implication, pour le sujet abordé qui interroge la cité de demain, il a été rapidement décidé de reporter ce projet inspiré de la République de la nouvelle utopie de Thomas More, d’un an.
Quel est l’impact global de cette crise ?
Jean Varela : Au niveau économique, c’est tout simplement pour le festival la perte de ses recettes propres, soit un tiers de son budget global qui s’élève à 3 millions d’euros. C’est aussi une perte au niveau structurel. Nous travaillons d’ailleurs en ce moment à calculer le coût de l’annulation, permettant de mettre hors de danger les compagnies tout en préservant la maison. Culturellement parlant, c’est un coup porté à la politique de la ville. Ce festival est un moment de rassemblement autour de la pensée et du sensible. Le printemps des Comédiens fait partie intégrante de la vie culturelle de la ville. Dès le mois de mars, nous allons à la rencontre des publics par le biais notamment de présentations des artistes invités et des spectacles à venir. La suppression de cette édition va avoir un impact indéniable sur la dimension poétique et délicate de la cité. Un festival, c’est avant tout le partage. Cela va indéniablement manquer. Ces retombées humaines, réflectives, n’auront pas lieux. Les rencontres entre artistes et public ne se feront pas. C’est la grande force du Printemps, réunir des gens de tout horizon qui profite de la Pinède pour échanger, parler des spectacles à venir, mais aussi de ceux de l’an passé. Les spectateurs, curieux de la programmation, confiant de ce que nous leur proposons, prennent plaisir à découvrir de nouveaux artistes, de nouvelles formes de théâtre. En mélangeant des maîtres comme Romeo Castellucci, Ivo van Hove ou Krzysztof Warlikowski avec l’école du TNS sous la férule de Julien Gosselin et celle de Montpellier avec Bérangère Vantusso, Brigitte Bordat et Pierre Meunier, nous espérons humblement que certains seront inspirés, d’autres portés par une énergie nouvelle.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Le printemps des Comédiens – Domaine d’O _ Montpellier
L’heure bleue de David Clavel
La vie de Galilée de Bertolt Brecht
Phèdre ! de François Gremaud
Sylvia de Fabrice Murgia
Contes et légendes de Joël Pommerat
Crédit photos © BVM Communication, © Jean Louis Fernandez, © Hubert Amiel et © Simon Gosselin