Alors c’est ça la guerre?
On n’arrêtait pas de nous lancer à la figure que
nous étions des mauviettes, qu’on se plaignait tout le temps parce que nous ne
savions pas ce que c’était la guerre !
Maintenant on sait !
Une attestation dérogatoire pour sortir dans la rue. Un jogging dans un périmètre d’un kilomètre. Interdit d’embrasser Tatie Danielle qui pique ou de serrer la main de celui pour qui on miserait son chômage partiel qu’il a voté Marine.
J’ai vu la guerre mais elle est invisible.
Elle est notre absence dans l’espace public.
Comme au théâtre, elle est toujours hors-scène.
On la raconte mais on ne la montre pas.
Elle existe dans les échanges de lettres entre Copeau et Jouvet sur le front en 1914,
Elle existe quand Jean-Yves Picq nous raconte le retour d’un GI du Vietnam qui décide de transformer Central park en jungle vietnamienne.
Elle existe quand Shakespeare promène ses personnages d’Henri VI sur les champs de bataille.
Mais elle existe aussi quand Pascal Rambert nous donne à voir une femme avec bac +5 qui doit laver les vitres des magasins pour vivre, non ?
Je n’ai pas vu la guerre mais j’ai déjà essayé de la mettre en scène.
Enfin de mettre en scène un auteur qui, l’ayant lui-même vécu comme grand reporter à Libération, en avait fait un roman.
La guerre du Liban. Une guerre civile sans vainqueur
avec sa suite d’atrocités dont le massacre des camps de Sabra et Chatila.
C’est sur ce traumatisme que Sorj Chalandon a écrit son roman, Le Quatrième Mur, que j’ai monté : Il était un des premiers journalistes à pénétrer dans ces camps juste après le massacre.
Mais ce qui m’a incité à l’adapter, ce n’est pas la guerre. C’est le questionnement de l’auteur sur notre positionnement par rapport à celle-ci, la guerre ou plus largement par rapport à un événement tragique vécu, quel qu’il soit.
Comment trouver la bonne distance pour raconter,
Pour le nommer et le faire entendre ?
Chalandon se projette dans son roman en metteur en scène de théâtre qui veut monter l’Antigone d’Anouilh avec des acteurs libanais de confessions religieuses différentes. Il espère par cette action, arrêter la guerre le temps d’une représentation.
Mais comme le théâtre n’arrête pas la guerre, est-ce que la nommer, peut lui donner une existence ?
Dans le contrat de confiance qui nous lie avec le public, la croyance de l’existence de la guerre n’est pas aisée.
Il est des spectacles où nous n’y croyons pas.
Et ce soir-là, devant mon téléviseur, je vois un acteur me répéter que nous sommes en guerre et je ne le crois pas.
Je ne réussis pas à faire correspondre le langage de l’acteur avec les images que la guerre déploie dans mon imaginaire.
Je n’adhère pas au contrat de croyance qu’il me propose malgré son statut de premier rôle qui pourtant, joue, je le sais, sur ma liberté de conscience.
Comme si je regardais un acteur qui insiste un peu trop pour qu’on le regarde, qui veut me faire rire ou me faire pleurer.
Je n’écoute pas l’histoire qu’il me raconte, je vois seulement l’endroit où il veut me conduire.
Pourquoi cette répétition de « Nous sommes en guerre » ?
Pour nous faire peur ? Pour nous purger de nos émotions ?
Ou pour se donner un rôle qu’on ne lui a pas donné et qu’il cherche à avoir.
Il a pourtant déjà un rôle super dur à tenir pour lequel il pourrait avoir de belles scènes à jouer. Pas forcément la scène du balcon, to be or not to be, les stances du Cid ou la tirade du Nez mais où il pourrait être le Cyrano du Vème acte quand Roxanne s’aperçoit que les lettres d’amour que lui envoyait Christian étaient écrites par lui, Cyrano.
Alors oui, ce n’est pas efficace tout de suite.
C’est plutôt du temps long.
Mais c’est un rôle qui vaut le coup non ?
Julien Bouffier, metteur en scène
créateur du festival Hybrides (Montpellier)
Conseiller artistique au Printemps des Comédiens (pour le Warm up)
radioweb du Printemps des Comédiens
Le quatrième mur de Sorj Chalandon
* extrait de « J’ai vu » chanson du groupe Niagara
Crédit photos © Marc Ginot