Sur scène, c’est son regard qui attire l’œil. Il est d’un bleu singulier, profond. On pourrait dire azuréen, mais c’est bien plus que cela. Brun, beau, il a une présence, comme on dit, une intensité. Comédien, metteur en scène, artiste touche à tout, il est un ami espiègle, un homme charmant. Loin des théâtres, il s’attache au terroir. De ses parents, il a gardé ce goût des choses simples, de la bonne bouffe, des petits plats faits maison.
Dans sa chambre au mur blanc, il lit, dévore les mots des autres, cherche l’inspiration, le texte qui le fera vibrer, qu’il aura envie de jouer ou même de monter. Il se met à rêver. Il réfléchit à ses partenaires. Il y a ses proches bien sûr, sa troupe. Il les connait bien. Il a partagé un Avignon avec eux, vibrer un mois entier à leur côté quasiment tous les jours. Dans la touffeur de l’été, le ténébreux artiste a appris leur force, leur faiblesse. Il aimerait bien leur offrir des rôles à contre-emploi. Il imagine déjà cette brune incendiaire interprétant les bonnes sœurs, ce blondinet naïf, les matadors. Il est sûr qu’ils seront merveilleux. Tout comme lui, ils ont tant a donné. Leur jeunesse est le gage d’une longue carrière. C’est un souhait, une prière. La vie est devenue si dure. Le métier si compliqué. Rien n’est fait pour les aider, les guider. Pôle-emploi, personne ne sait ce que c’est vraiment que d’être saltimbanque, pour le grand public, pour la plupart ils font parties des privilégiés, ils ont droit à l’intermittence. C’est tellement loin de sa réalité, de son quotidien.
De la banlieue chic parisienne à la cité des Papes, de sa ville natale à la capitale, le jeune comédien joue les classiques. De Shakespeare, il a appris la prose. Coureur de jupon, comploteur, prêtre, il se glisse dans la peau de ses personnages avec aisance. Il a du potentiel. Son physique de jeune premier est un avantage, mais il pourrait bien être un gangster, un policier, un amant, un véreux. Fougueux, il rêve de grands rôles, d’aller chercher le public ailleurs. La facilité, cela va un temps, il veut vibrer, pleurer, hurler sur scène, s’abimer dans les maux, les émotions.
Le bon dieu on lui donnerait sans confession. Gentil, doux, il s’intéresse à tout, se passionne pour tout ce qui a trait à la littéraire, au cinéma. On l’imagine, sur un rebord de fenêtre, ou dans un parc un livre à la main. A Avignon, l’an passé, en débardeur, short et Birkenstock, il a la panoplie du parfait festivalier. Le soleil, il n’en a cure, même s’il aime cette sensation de chaleur sur sa peau mate. Pour ceux qui l’ont croisé, c’est une des images que l’on retient de lui. Tête en avant, joueur parfois, indolent souvent, il se balade, distribue des tracts. Il fait le job. Il fait envie, donne envie. Un peu des deux. Jamais seul, toujours accompagné, il arpente les rues. Il s’habitue à la cohabitation à la promiscuité. C’est nouveau, mais pas grave. Il s’adapte. Il apprend des autres. Il se confie parfois, mais c’est aussi un loup solitaire. La nuit, à la fraîche, il s’évade. Il arpente les rues désertes. Il s’imagine à la campagne.
La rentrée théâtrale, il la vit de loin, à travers ses potes. Du coup, la fièvre des planches le repend. Il repense à cette création, à cette pièce qu’il a désir de monter. Il planche sur le budget, la prod. Il y croit, il est convaincu de son choix. Il y met ses tripes. Le froid, l’hiver, rien ne peut plus l’arrêter, la machine est lancée. Il est aidé, bien sûr. Pas le choix, l’aventure est folle. Le travail titanesque. Il y a des obstacles, mais rien de dramatique. Il a la foi, il les dépasse. Le temps joue à ses côtés. Le printemps approche. Tout devient plus palpable, plus concret. L’utopie a fait son temps.
Le jour des premiers rendez-vous, des lectures est là. Tout est sous contrôle. Un petit virus de rien de tout va enrayer la belle mécanique. C’est une anicroche. Il l’espère. Le monde s’arrête. La tragédie s’installe. Une autre dimension s’installe loin de ses premières préoccupations. Le moment est grave, dramatique. Il est solidaire.
Sa famille c’est son refuge. Il a quitté son petit appart pour retourner chez ses parents. Son métier est là toujours présent, mais il a d’autres choses à faire. Il s’engage. Ni infirmier, ni caissier, ni éboueur, ni postier, il est présent. Les gestes barrières, il les connaît par cœur. Il se met au service des autres, distribue des denrées, des repas au plus démunis. Il se sent un peu utile. Leur sourire, leur douce parole, lui mettent du baume au cœur. Ce n’est qu’un gros grain, une tempête. Demain se lèvera ensoleillé. Son projet verra le jour. Il en est sûr. Ce n’est qu’une question de timing. Les nymphes et les dieux sont de son côté. Le théâtre n’est pas près de l’abandonner.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
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