A Chaillot, Thomas Lebrun, directeur du CCN de Tours, questionne les mémoires singulières et individuelles à la suite Des destructions massives dues à l’homme et aux bombes nucléaires. S’inspirant du film Hiroshima mon amour d’Alain Resnais d’après un scénario de la romancière Marguerite Duras, ils signent une pièce percutante autant que délicate.
La scène est nue. Seul un immense boro, patchwork de tissus rapiécés, spécialité japonaise, plié très serré, est posé là, comme oublié. L’écrin est gris, noir. L’un après l’autre, une feuille blanche à la main, les neuf danseurs, tous excellents, envahissent l’espace. Ils se placent face au public, s’agenouillent et commencent un travail minutieux d’origami. Ils fabriquent des grues, symbole de paix au pays du soleil levant. Le temps s’étire. Le geste est précis, hypnotique. La musique japonisante, l’éclairage cru, donne le ton, l’ambiance zen.
Hiroshima mon amour
Dès les premiers mots, on reconnait la voix d’Emmanuelle Riva. Les images du film de Resnais, les phrases de Duras, se superposent à l’écriture chorégraphique de Thomas Lebrun. Tenue blanche pour les filles, costumes noirs pour les garçons, le chorégraphe puise dans le drame, l’après bombardement, une matière puissante, la mémoire d’une résilience. Pourtant, comme le dit le héros à la belle actrice, « tu n’as rien vu à Hiroshima, rien. » Pourtant, tout est là dans l’inconscient collectif, dans les gestes, les bâtiments calcinés, et les fleurs qui repoussent. La vie après la mort. L’espoir d’un autre monde. Les spectateurs se laissent emporter, submerger par l’émotion, la lenteur, le magnétisme de cette danse très codifiée.
Une culture, un autre monde
Touché pas les paroles échangées par les deux protagonistes de ce chef d’œuvre du septième art, Thomas Lebrun y voit une résonnance avec ses propres réflexions sur le souvenir, la mémoire. Avec toute la compagnie, le chorégraphe s’est envolé pour le Japon. Au programme, visite de la ville sinistrée, rencontre avec des hibakushas – survivants de la bombe atomique – , promenades, immersion dans une culture, une manière de pensée. Ainsi, le directeur du CCN de Tours imagine une pièce qui parle d’absences, de pertes, mais pas d’oubli, pas de haine. Il évoque l’impact d’événements majeurs de politique, d’actes guerriers, et l’incapacité à en tirer réflexion faute de transmission.
Un écrin de tous les possibles
Portées par les musiques de Georges Delerue, Giovanni Fusco et Hibari Misora, Et les paroles de ce qui ont vécu la tragédie, Thomas Lebrun fait le lien entre le passé et le présent, entre l’importance de l’histoire, de ce qu’elle dit de nos actes futurs. Il interroge autant les mémoires collectives qu’individuelles et nous entraîne dans un univers qui transpire les arts japonais, leurs délicatesses, leurs cérémonials. Les pas lents, les gestes lancinants, magnétisent, ensorcèlent, envoûtent. Au-delà de l’horreur, de la barbarie, l’espoir se fraye un chemin, s’insinue malgré tout. Après l’enfer, la paix s’impose plus forte que tout. C’est terriblement beau !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Ils n’ont rien vu de Thomas Lebrun
Chaillot – Théâtre national de le Danse
1, place du Trocadéro
75016 Paris
Jusqu’au 11 mars 2020
Durée 1h20
Tournée
Le 24 mars 2020 au Théâtre, scène nationale d’Orléans
Le 26 mars 2020 à L’Hectare, scène conventionnée de Vendôme
Le 5 mai 2020 au Merlan, scène nationale de Marseille
7 mai 2020 à La passerelle, scène nationale des Alpes du Sud, Gap
Chorégraphie de Thomas Lebrun
Avec Maxime Camo, Raphaël Cottin, Anne-Emmanuelle Deroo, Karima El Amrani, Akiko Kajihara, Anne-Sophie Lancelin, Matthieu Patarozzi, Léa Scher, Yohann Têté
Musique de Georges Delerue, Giovanni Fusco, Hibari Misora…
Création Boro de Rieko Koga
Lumières de Françoise Michel
Son de Mélodie Souquet
Costumes de Jeanne Guellaff
Crédit photos © Frédéric Lovino