Au théâtre de la Porte-Saint-Martin, l’improbable couple Catherine Frot et Vincent Dedienne a carte blanche. Entremêlant leurs univers faits de chansons réalistes un brin désuètes, de sketchs potaches et d’extraits de pièces de théâtre, ils signent un spectacle savoureux, décalé à la beauté discrète et surannée. Bijou sensible et poétique !
Il est là, grand, mince, pull rouge éclatant. Arrivé par une petite porte dissimulée dans le rideau de bois qui cache la scène de la salle, Vincent Dedienne s’adresse au public. Volubile, parfois emprunté, toujours caustique, en quelques mots, il raconte l’histoire de cette improbable rencontre, celle de la carpe (Catherine Frot, infiniment aérienne) et du lapin.
L’union de deux mondes
Elle est la Reine des lieux, un peu folle, un brin fantasque. Il est son bouffon, mordant, touchant. Elle s’ennuie, il doit la divertir. Son jeu favori est les cadavres exquis, un amusement surréaliste où chacun des participants apporte à l’édifice, une pierre différente et sans rapport avec les autres. Ainsi mots, idées, textes, s’enchaînent sans queue ni tête formant un objet théâtre non identifiable. C’est d’un savoureux !
A la croisée des arts, des références
Dans un décor, qui a tout d’un palais en ruines, d’un immense grenier empli de souvenirs – coiffeuse art déco, statue en cire de De Gaulle, ballons dorés, portant de vêtements ou tapis roulant – les deux comédiens, tour à tour, espiègles, décalés, vibrants, brettent leurs goûts littéraires, poétiques ou théâtraux. De Duras à Boby Lapointe, en passant par Palmade ou Beckett, d’un extrait désopilant du Diner de cons à celui plus acéré de Qui a tué Virginia Woolf ?, ils naviguent entre les eaux et font de ce patchwork décousu, de ce collage composite, un spectacle délicat, plein de grâce et d’intelligence.
Un duo de charme
Ici, les contours sont troubles. Aucune règle, si ce n’est l’amusement. Pas de liant, sauf une forme de tendresse désuète, d’amour doux. Juste le plaisir d’être ensemble, de se découvrir et de s’apprivoiser. La majesté éthérée de Catherine Frot et l’humour décapant, délectable, de Vincent Dedienne ne s’était jamais rencontré. Avec La Carpe et le Lapin, ils font de leurs divergences, une force, un ovni scénique certes débridé mais construit au cordeau. Du « non-prologue » délicieusement drôle à la chanson finale ironisant gentiment sur leurs désaccords artistiques, en passant par un bel hommage à Pina Baush, chorégraphié par le talentueux Vincent Chaillet, nos deux compères invitent à un fort sympathique rêve, une belle balade entre poésie et théâtre.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
La Carpe et le Lapin, un cadavre exquis de Catherine Frot et Vincent Dedienne
Théâtre de la Porte Saint-Martin
18 Boulevard Saint-Martin
75010 Paris
Jusqu’au 12 avril 2020
Du mardi au vendredi à 20h, le Samedi à 17h et 20h30et le Dimanche à 16h
Durée 1h25 environ
Mise en scène de Catherine Frot, Vincent Dedienne & Julie-Anne Roth
Avec Catherine Frot et Vincent Dedienne
Avec le précieux regard de Serge Bagdassarian de la Comédie-Française
Scénographie d’Alexandre de Dardel
Costumes de Michel Dussarrat
Musiques de Patrick Laviosa
Lumières de Kelig Le Bars
Chorégraphies de Vincent Chaillet
Maquillage de Michelle Bernet
Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage