Aux Déchargeurs, Pierre Notte croque, dans Je ne vous aime pas, le petit monde du théâtre dans une comédie douce-amère des plus réjouissantes. La mise en scène de Marianne Wolfsohn en souligne avec joliesse toutes les couleurs, toutes les tonalités. Epatant !
Forte de son expérience de comédienne sur les scènes parisiennes et de province, des relations avec les élus, les responsables de la programmation, des compagnies et des spectateurs, Marianne Wolfsohn a commandé à Pierre Notte un texte qui aborderait tous ces sujets et surtout le fossé entre « ceux qui le font », « ceux qui en sont » et « ceux qui n’en sont pas ». Le résultat est formidable.
Fille des villes, fille des champs
Deux femmes débarquent, non pas sur scène, mais dans la salle restée allumée, nous intégrant d’office dans l’action. La première porte tous les stigmates de la vedette parisienne qui regarde un peu étonnée les lieux. Tout n’est qu’élégance chez elle. Ancienne sociétaire du Français, elle a la grâce des grandes comédiennes. En bonne citadine, elle déteste les trous perdus. Silvie Laguna, dans les moindres attitudes, modulation de la voix, incarne avec une véracité superbe ce personnage d’actrice, avec un grand A, qui sous son glacis cache de nombreuses failles.
Les aprioris et les préjugés
La deuxième, plus « naturelle » est la chargée de programmation de cette salle polyvalente qui, selon la définition du conteur Yannick Jaulin, « sert à tout et sert à rien ». C’est une battante, toujours en lutte contre le monde et surtout contre la responsable culturelle de la Mairie qui n’aime que les spectacles d’humour ou d’amateurs en costumes d’époque. Elle a dû batailler pour acheter et faire venir dans sa petite bourgade le spectacle de cette grande actrice que personne, dans la région, ne connaît. Nathalie Becue interprète avec beaucoup de finesse et de talent cette femme blessée qui oscille sans cesse entre le brut de pomme et la passion.
Une confrontation désopilante
Même si elle démarre sur la bienséance d’usage, la rencontre entre ces deux femmes que tout oppose, va se transformer en un véritable duel, où chacune expose sa vision du théâtre et du monde en général. Très vite, on comprend qu’il y a entre elles autre chose qu’un simple désaccord artistique. Que le clivage entre la Capitale et le reste de la France n’est pas uniquement l’objet de leur discorde. C’est plus profond, plus ancien, rappelant qu’avant tout ceci, elles avaient été des adolescentes remplies de rêves. C’est succulent, la prose et l’esprit de Pierre Notte font mouche.
Mise en espace réussie
La mise en scène de Marianne Wolfsohn est d’une grande justesse. S’appropriant comme espace scénique l’espace du spectateur, utilisant une lumière, crue, froide, qui rappelle l’éclairage de ces salles polyvalentes, elle brise la frontière entre le plateau et le public. Le seul bémol, ce sont Ces parenthèses, qui brouillent un peu, dans lesquelles l’artiste interprète, fort bien au demeurant, des paroles de femmes issues du milieu rural. Les textes sont magnifiques et l’on espère que la comédie de Picardie nous les présentera dans leur totalité. Se laissant porter par L’effort d’être spectateur, ce spectacle d’une belle facture nous a totalement séduits.
Marie Céline Nivière
Je ne vous aime pas de Pierre Notte
Les Déchargeurs
3, rue des déchargeurs
75001 Paris
Jusqu’au 28 mars 2020
Du mardi au samedi à 21h00
Durée 1h15
Mise en scène de Marianne Wolfsohn assistée d’Ophélie Koering
Avec Nathalie Bécue, Silvie Laguna & Marianne Wolfsohn
Lumières d’Élodie Tellier
Décors de Marianne Cantacuzène & Michèle Maupin
Costumes de Donate Marchand & Emmanuelle Huet
Crédit photos © Pascal Gély