Au théâtre 13, le jeune Camille de la Guillonnière propose une version très singulière, et particulièrement inventive du roman de Balzac, Eugénie Grandet. Loin d’une adaptation scénique pure et dure, il monte le texte à la façon d’un oratorio. Un pari osé et réussi.
Ni adaptation théâtrale du roman de Balzac, ni lecture donnée par plusieurs comédiens, le spectacle imaginé par Camille de la Guillonnière est une mise en voix théâtralisée. Les mots se font notes et les comédiens les interprètent comme le ferait un orchestre, avec les ensembles, les solos, les duos… Cela peut en dérouter certains, mais en toute honnêteté, le résultat est remarquable. Se prêtant à l’exercice, la langue de Balzac, riche et précise, en sort ciselée, exaltée.
Des costumes trompeurs
Portant chacun un costume, imaginé par la talentueuse Pauline Geyres, définissant un personnage, – l’habit bourgeois du père Grandet, la robe sobre d’Eugénie ou la blouse de la bonne – , les acteurs sont dans la posture, l’illustration , plus que l’incarnation. On est chez Balzac, le style est narratif. Il n’interprète donc pas un rôle précis, mais selon les tempéraments des uns, la musicalité de leur voix, il conte un passage, un moment pas toujours en rapport avec leur tenue. Là aussi, notre cerveau cartésien pourrait s’y perdre. Or il n’en est rien.
Une vision humaniste
Camille de la Guillonnière, compagnon de jeu de Jean Bellorini, est un chef d’orchestre d’une grande intelligence. Son adaptation du roman séduit, car il va à l’essentiel. Il dépeint avec justesse cette société bourgeoise, où l’amour de l’or, enferme les sentiments et clôt les portes du cœur. Pour le père Grandet l’argent règne en maître. On garde le magot pour soi, juste pour le plaisir de le faire croître et rien d’autre n’a d’importance. Que sa femme en meure, que sa fille en pâtisse, il n’en a que faire. Rien n’est épargné à la jeune femme, même son grand amour finira par l’abandonner à ses vicissitudes. Le metteur en scène choisit pourtant une fin optimiste à sa pièce, en s’arrêtant sur le don que fait Eugénie à son cousin Charles, rappelant que la seule richesse au monde est celle du cœur et de la générosité.
Un bel écrin
Tel un maestro, il donne le la avec précision à ses magnifiques comédiens, Hélène Bertrand, Lara Boric, Pélagie Papillon, Lorine Wolff, Erwann Mozet et Charles Pommel. Chaque déplacement, geste, intonation sont à leur place. Il les a placés dans un écrin qui visuellement fait songer à ses grandes demeures bourgeoises froides de province. Même le jardin possède ce gris triste si emblématique. Les lumières de Luc Muscillo sont impeccables. À la fin de la représentation, les lycéens se sont levés d’un bloc pour saluer, à juste titre l’excellence, de ce travail.
Marie-Céline Nivière
Eugénie Grandet ou l’argent domine les lois, la politique et les mœurs d’après Honoré de Balzac
Théâtre 13 – Côté Seine
30 rue du Chevaleret
75013 Paris
Du mardi au samedi à 20h et le dimanche à 16h
Durée 1h40 sans entracte
mise en scène de Camille de la Guillonnière assisté de Frédéric Lapinsonnière
Avec Hélène Bertrand, Lara Boric, Erwann Mozet, Pélagie Papillon, Charles Pommel et Lorine Wolff
Lumières de Luc Muscillo
Costumes de Nelly Geyres
Crédit photos © Guillaume Chapeleau