Irremplaçable, indémodable, Jacqueline Maillan traverse les époques, les âges mais ne prend pas de rides. Sa présence scénique est unique. Beaucoup ont tenté de l’imiter, mais personne ne l’a jamais égalée. Clown triste, comme la plupart des grands comiques, elle est la star incontestée d’Au théâtre ce soir. Confinés, rendonslui un bel hommage en riant encore et toujours à ses fantaisies, ses facéties !
On ne peut pas dire que le chat n’avait pas été prévenu (voir chronique sur Maria Pacôme). Depuis le passage, dimanche soir, à la télévision de Papy fait de la résistance, il s’attendait à me voir apparaître dans le salon à la manière de Maillan. Ce matin, d’un œil torve, Sacha m’a regardée surgir, d’une démarche légèrement chaloupée, les bras ouverts, plantant mes yeux dans les siens pour lui dire : « bonjour, toi ».
Muse de Barillet et Grédy
Elle entrait ainsi en scène, La Maillan, d’un pas décidé, une jambe bien galbée en avant, lançant une œillade au public, les bras tendus vers eux. C’était sa façon de dire, « je ne le lâcherais pas, je vous aime trop pour ça ». Car ce sont les spectateurs, par leurs rires à la moindre de ses ruptures de ton, qu’elle maîtrisait à merveille, qui la faisaient exister. Elle se nourrissait d’eux avec une gourmandise folle et savait les mener à la baguette, allez les chercher quand ils semblaient mous. Elle adorait que ses auteurs, comme Barillet et Grédy, lui écrivent de longs apartés lui permettant de converser avec eux. Ils étaient ses partenaires préférés. Sans eux, elle redevenait une petite bourgeoise sans prétention.
La Bourdelle
Ce dimanche soir, donc, avait un goût d’antan, une saveur d’autrefois, quand la France entière se calait devant le film qui clôturait un week-end bien tranquille, nous étions nombreux à revoir pour la énième fois Papy fait de la résistance, film culte de l’équipe du Splendid. Elle incarne la Bourdelle. Curieusement, elle y est bien plus sobre qu’à l’ordinaire, presque à l’économie. Il semblerait qu’elle ne se soit pas trop entendue avec le réalisateur, Jean-Marie Poiré. Mais, assez admirative du talent de l’équipe du Splendid, elle s’était mise en retrait. Et c’est en cela qu’elle est extraordinaire dans ce personnage. Ses regards silencieux en disent long, sa sincérité également. Elle n’a certainement pas mesuré à quel point, elle offrait un très grand moment de comédie et que son interprétation de cette époustouflante cantatrice demeurerait dans les annales.
Reine du petit écran
La Maillan, c’est un monstre sacré, celle qui « inventa » le ton boulevardier, « une machine à faire rire » qui a bercé notre enfance, notre adolescence et également nos premiers pas dans la vie d’adulte. La comédienne était prolixe et elle passait régulièrement à la télévision dans toutes sortes d’émissions, de « Au théâtre ce soir » à celles desCarpentier, ou de Ribes, sans oublier les films, comme Pouic Pouic et ceux des Branquignoles. A chacun de ses passages, l’audimat explosait. Quand elle jouait au théâtre, c’était salles combles durant des centaines de représentations.
Souvenirs, souvenirs
On a tous des souvenirs rattachés à ses prestations. Je me rappelle ma joie et mon émotion lorsque je l’ai vu jouer « pour de vrai », dans Pièce Montée de Palmade, son dernier rendez-vous avec le public. Bon nombre de comédiennes ont rêvé non pas de l’égaler mais au moins d’atteindre sa puissance scénique. Elle était inimitable, mais si inspirante. N’est-ce pas Muriel Robin ? elle ne fut pas la seule, tant d’autres ont rêvéde suivre son chemin ! Moi-même lorsque j’étais chez Simon, je jubilais lorsque Rosine Margat, la directrice, me donnait à travailler une scène tirée de son répertoire.
L’indétronable
Promenez-vous sur la toile, où grâce à l’Ina l’on trouve quelques pièces, Potiche, Folle Amanda avec son entrée en scène enroulée dans une serviette de bain, La facture, mais aussi le meilleur de ses sketchs avec quelques fois sa complice Sophie Desmarets, une autre grande dame du vaudeville. Il y a aussi des extraits de cette émission improbable, faite d’improvisations et de jeux de colonies de vacances, « Les grands enfants ». Mais l’on trouve aussi une « radioscopie » de Chancel, où elle se livre sans chichi. C’est très beau. Et en ces temps un peu bizarre, la retrouver fait un bien fou.
Marie Céline Nivière
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