Dans le cadre de la biennale d’art flamenco, Rocío Molina embrase les sens dans une performance « so queer ». Entourée d’artistes invités tout feu tout flamme, trois heures durant, elle fait monter la température et vibrer les murs de la salle Gémier. A la croisée des arts vivants, ce spectacle unique et extravagant est clairement exceptionnel.
Dispositif tri-frontal, mur du fond ouvert sur les coulisses, la scénographie est toute simple, mais terriblement efficace. Deux musiciens entrent en scène armés de leurs instruments. Ils s’installent, l’un gratte une guitare, l’autre un violoncelle. En quelques notes, la pluie froide parisienne n’est qu’un lointain souvenir laissant place au soleil incandescent de l’Espagne. Veuve noire, femme libre, Rocío Molina apparait au loin. Gestes déliés, mouvements imperceptibles, elle ondule, glisse lentement vers le plateau. Haute comme trois pommes, cheveux tirés au cordeau, la célèbre danseuse de flamenco est un concentré d’énergie, de virtuosité. Chaque délié, chaque arabesque dessinés dans les airs par ses mains, ses bras, sont exécutés avec une précision impeccable, une délicatesse extrême.
La danse
Au diapason des sons, des rythmes, Rocío Molina tourne, virevolte, entre en transe. La cadence s’accélère. Les enchaînements deviennent hypnotiques. Ses pieds frappent le sol, claquent avec rapidité. Tel un torero dans une arène, l’artiste pointe d’imaginaires banderilles dans l’air. Le public retient son souffle, envoûté par ce ballet, ce corps à corps entre musique et danse, entre l’interprète et les instrumentistes.
Ambiance tamisée, jeu entre ombres et lumières, Rocío Molina se met en retrait. Elle laisse la place à Rosalba Torres. Grande, élégante, celle qui a, un temps, travaillé avec Platel, Découflé ou de Keersmaecker, prend possession de la scène. Pieds nus, elle donne à chaque mouvement une grâce infinie, une légèreté. Elle attire les regards, subjugue le public. Rejointe par la chorégraphe espagnole, elles inventent un duo lesbien sensuel, charnel. Les corps ondulent, se cherchent et s’attirent. Flirtant passionnément, les deux danseuses signent un moment torride où le sublime et le merveilleux se conjuguent en un combat amoureux. Magnifique !
La performance
Changement d’atmosphère, la douceur hypnotique de ce pas de deux fait place à l’extravagance. Au loin, une immense silhouette fait son apparition. Sorte d’immense Golgoth blanc, François Chaignaud entre dans l’arène. Aigle blanc ou vautour, créature étrange, il déambule protéger par une cape rigide en laine feutrée. Tête cachée derrière un grand foulard espagnol à motifs floraux roses, il suit les mouvements des arias, des sonorités arabo-andalouses. dégageant son corps longiligne musculeux de cette gangue ouatée, l’artiste sur pointes saute, se trémousse, joue avec le public. il charme, provoque, s’amuse. cheveux longs, ongles parfaitement manucurés, visage maquillé, il défit le genre et convie Rocío Molina à une transe folle, flamboyante. Bataille de reines, les deux artistes dansent sur des musiques proposés par le public. La température est montée de quelques degrés, la salle est sous le charme, comme envoûtée prête à fondre sur la piste pour se joindre à ce pas de deux singulier, terriblement fascinant.
Le chant
Enfin, la chanteuse italienne Maria Mazzotta prend possession de l’espace. Avec douceur, elle charme l’auditoire, l’entraîne dans un rêve sonore et pénétrant. Voix chaude, elle attrape le public, stimule un autre sens. Chacun à sa manière, les artistes invités ont su tenir l’attention des spectateurs trois heures durant, qui loin d’être exsangues, debouts, en redemandent.
Cet Impulso, concocté par la danseuse et chorégraphe Rocío Molina, fut un moment intense, beau autant que déroutant, bouleversant autant que baroque. Une soirée hors norme pour une artiste inclassable !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Impulso, une improvisation de Rocío Molina
Chaillot-Théâtre national de la Danse
1, place du Trocadéro
75016 Paris
Le 1er février 2020
Durée 3h00
Conception de Rocío Molina
Artistes associés : François Chaignaud (danse et chant), Rosalba Torres (danse), Maria Mazzotta (chant et percussion)
Avec Dani de Morón (guitare), Pablo Martín Caminero (contrebasse), Eduardo Trassierra (guitare), José Ángel Carmona (chant), Bruno Galeone (piano et accordéon), Pablo Martin Jones (percussions et électronique), José Manuel Ramos « Oruco » (palmas)
Crédit photos © Simone Fratini