Au théâtre de la Madeleine, Michel Fau aborde cette comédie de mœurs, signée Harold Pinter, avec l’élégance et l’intelligence que nous lui connaissons et nous plonge sans trahison au cœur des années 1970.
Dans Trahisons, Pinter met le prisme sur le célèbre trio du mari, la femme, l’amant. Mais ici, on n’est pas chez Feydeau et aucune porte ne claque. Nous sommes dans l’élégance des gens de la bonne société intellectuelle. Le mari, Robert, est éditeur, la femme, Emma, galeriste d’art contemporain et l’amant, Jerry, agent d’auteurs. Chez ces gens-là on pense et on raisonne même quand les sentiments bouleversent l’équilibre. Partant des retrouvailles impromptues entre Emma et Jerry après leur séparation, le dramaturge britannique déroule à rebours l’histoire de cet adultère, pour arriver à leur rencontre. C’est ce schéma inversé qui crée l’originalité de la pièce et en fait toute la saveur.
Ami et amant
Michel Fau démarre par un tableau qui n’est pas dans l’œuvre originale, une partie de squash entre Robert et Jerry. C’est une excellente idée ! Ce sport est souvent évoqué dans la pièce. En le pratiquant ensemble, les deux hommes scellaient leur amitié. Car l’amant est le meilleur ami du mari. Et au fur et à mesure que la trahison de Jerry et d’Emma s’installe les parties s’estompent pour s’interrompre. Fau rappelle dans cette scène muette de squash que les mots de Pinter vont résonner entre les protagonistes comme des échanges de balles.
Une ambiance « so 70’s »
Ce tableau permet aussi à Michel Fau de dérouler le décor. Les murs de la salle de sport s’ouvrent laissant place à un espace vide qui représente la terrasse d’un bar. À chaque tableau, un nouvel élément de décor est intégré pour indiquer le lieu. Remplissant l’espace de plus en plus. La scénographie, s’appuyant sur les décors de Citronnel Dufay et les lumières de Joël Fading, est de toute beauté. Michel Fau aime les années 1970, cela se sent dans son traitement où l’on retrouve le rythme des films de Sautet. Si dans son spectacle, on ne fume pas comme des pompiers, en revanche on y boit beaucoup. Fau s’amuse avec cela et c’est finement bien fait. On ne peut évoquer ces années-là sans oubliez le style vestimentaire assez mémorable qui va avec. Les costumes de David Belugou sont remarquablement bien choisis. N’oublions pas les musiques de François Peyrony qui parachèvent l’atmosphère. Chez Fau, l’ambiance a beaucoup d’importance et une fois de plus, il a brillamment réussi son ouvrage.
Un trio admirable et flamboyant
Pinter montre trois êtres empêtrés dans leur vie faite de trahisons, de tromperies, de lâchetés, de non-dits. Au centre, il y a Emma, belle, brillante. Claude Perron s’est glissée avec une belle aisance dans ce personnage qui a la beauté d’une Charlotte Rampling et la prestance d’une Delphine Seyrig. Nerveux, fébrile, Roschdy Zem incarne avec de belles nuances l’amant qui a trahi son meilleur ami et craint sa réaction. Le personnage de Robert sied à merveille à Michel Fau. Dans un détachement feint, ironique et manipulateur, il mène le bal. Le trio s’accorde à merveille et mène à l’unisson et, pour notre grand plaisir cette comédie grinçante.
Marie Céline Nivière
Trahisons d’Harold Pinter
Théâtre de la Madeleine
19 Rue de Surène
75008 Paris
A partir du 28 janvier 2020
Du mercredi au samedi à 20h30 et en matinée le samedi à 16h00
Mise en scène de Michel Fau
Adaptation française d’Eric Kahane
Avec Michel Fau, Roschdy Zem, Claude Perron, Fabrice Cals
Scénographie de Citronnel Dufay
Costumes de David Belugou
Lumières de Joël Fading
Musique de François Peyroni
Crédit photos © Stéphane Brion