A la Colline, dans diptyque flamboyant et « trash », l’artiste catalane rend un dernier hommage vibrant à ses parents décédés. Poussant le geste artistique jusqu’à l’introspection morbide, elle offre à sa mère la plus belle des oraisons funèbres, une cérémonie païenne flamboyante.
Toute habillée de noire, elle pleure la petite Angélica. Elle n’arrive pas à s’arrêter. Pas de cri, pas de hurlement, juste des larmes qui coulent en continu zèbrent son visage. Sa mère est partie. Elle se retrouve seule, abandonnée. Afin de célébrer celle qui lui a donné la vie, elle accomplit quelques rituels dans une chambre mortuaire quelque peu ésotérique. Elle a le sens de la mise en scène l’artiste catalane. Rien n’est laissé au hasard. Les mannequins recouverts d’étoffes fleuries, les chaises, tout est pensé pour donner l’impression au spectateur d’entrer dans un tableau vivant, vibrant. La défunte est omniprésente. Elle est le corps, l’essence de ce spectacle. Absente, elle transpire par tous les pores de l’orpheline, dans le moindre pli de chaque tissu.
La force des images
Déambulant dans l’espace, Angélica Liddell semble donner vie à tout ce qu’elle touche. Rejointe par des hommes, mi-ange, mi-démon, habillés de costumes folkloriques, elle doit leur offrir en sacrifice l’enfant qu’elle n’a jamais eu pour faire renaître celle qui lui a donné la vie. Chants arabo-andalous, mélopées messianiques, l’artiste espagnole invente un rituel de vie et de mort, un passage entre ce qui était et ce qui n’est plus. Hypnotisés par des images d’une rare beauté, d’une puissance visuelle percutante, telle cette petite fille en tenue de princesse, portée par des hommes au torse nu, peint en bleu, dans un cercueil, telle Angélica ficelée, crucifiée à un bout de bois, les spectateurs retiennent leur souffle, se laissent emporter dans cet univers noir empruntant ses codes à la religion.
Une Eloge funéraire et expiatoire
L’espagnole transcende le divin, le transgresse. Elle chante, essaye de crier, de hurler sa peine, mais les sons restent dans sa gorge comme noyés par le chagrin. Entre amour et haine – elle l’a souvent laissé éclater contre ses géniteurs dans ses précédentes créations – , entre expiation, introspection et fascination, elle se libère de ses vieux réflexes, pardonne crimes, fêlures et incompréhension et offre à ses parents un double oraison funèbre baroque et granguignolesque.
Impudique, humaine, Angélica Liddell signe, avec Madre, un poème triste autant que joyeux, une ode vibrante pleine d’humanité retrouvée à ceux dont elle est le fruit.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Una costilla sobre la mesa : Madre d’Angélica Liddell
La colline – théâtre national
Grand théâtre
Rue Malte-Brun
75020 Paris
Jusqu’au 7 février 2020
Durée 1h30 environ
mise en scène, scénographie, costumes d’Angélica Liddellavec Angélica Liddell, Gumersindo Puche, Niño de Elche, Ichiro Sugae et Tony Aliot, Kymia Bayat, Marion Begin, Cécile Bernard, Adèle Bertin, Baptiste Brisseault, Inès Dujardin en alternance avec Salsabila Nefati, Hélixe Charier, Julien Chaudet, Frédéric Cherubini, Camille Delpech, Melchior Derouet, Héloïse Logie, Stéphanette Martelet en alternance avec Léa Fonder, Benoît Maubrey, Alice Pozzo Di Borgo, Anna Ranz, Julia Salaün, Garance Silve, Rosalie Sinsou
assistanat à la mise en scène Borja López
lumières de Jean Huleu
son et vidéo d’Antonio Navarro
Crédit photos © Susana Paiva et © Luca Del Pia