Théâtre 14, une réouverture en fanfare

Après quatre mois de travaux de rénovation, le théâtre 14 renaît de ses cendres.

Après quatre mois de travaux de rénovation et un changement de direction, le théâtre 14 À réouvert ses portes lundi 20 janvier 2020. Sous le signe de l’amour, Edouard Chapot et Mathieu Touzé ont inauguré scène et salle par une lecture de Le début de l’A. de Pascal Rambert par la marraine des lieux, Marina Hands. Rencontre avec deux trentenaires, bien dans leur tête, dans leurs baskets !

C’est dans un théâtre tout beau, tout neuf qu’Edouard Chapot, le brun ténébreux, et Mathieu Touzé, le blond peroxydé aux allures de gravure de mode, convient le public en ce soir de première. 500 000 € de travaux ont été nécessaire pour transformer l’établissement municipal de fond en comble. Du hall d’entrée plus vaste à la salle ré-agencée, tout a été repensé pour faire souffler sur le lieu convivialité, chaleur et modernisme et coller au plus près de leur projet qui s’ancre non seulement dans la vie du quartier mais qui cherche à ouvrir leur programmation vers d’autres publics. A deux pas de l’établissement flambant neuf, dans un bureau de fortune, ils reviennent sur leurs histoires respectives, leurs désirs, leurs envies.

Comment le théâtre est-il entré dans vos vies ?

Mathieu Touzé : J’ai découvert le théâtre en regardant chez mes grands -parents, Jacqueline Maillan dans les cassettes-vidéos d’Au théâtre ce soir. L’été je me les passais en boucle. Très vite, j’ai su que c’était cette voie que je voulais suivre. J’ai donc commencé très tôt à suivre des cours d’art dramatique. Mais ayant grandi hors du sérail, dans un petit village de Normandie, je ne savais pas qu’il existait des filières spécifiques dans ce domaine. Quand tu es loin de tout, tu n’as pas l’idée qu’il existe par exemple des lycées avec option théâtre. Je l’ai découvert très tard, presque trop tard pour moi. Je me suis inscrit au conservatoire, j’avais 25 ans. J’étais en limite d’âge. Pareil, quand j’ai fait mon master à Lyon, j’ai cherché sur Internet à quelle formation je pouvais m’inscrire pour concrétiser mon intime désir de faire de l’art dramatique, d’en faire mon métier. J’ai trouvé l’Ensatt. Ça me paraissait l’idéal. Il proposait de suivre des cours de jeu, de danse et de chant. La seule chose que je ne savais pas, c’est que pour y entrer il fallait déjà avoir un bagage, il faut s’y préparer. C’est aussi pour cela que dans le projet que nous défendons avec Édouard, nous avons voulu intégrer un pan dédié à la diffusion avec l’Université populaire et la transmission des savoirs. Faute d’avoir eu ces informations à l’époque, j’ai donc poussé le plus loin possible mes études pour pouvoir en parallèle continuer à faire du théâtre. C’est comme ça que j’ai passé le concours d’avocat. L’avantage avec ce parcours, c’est qu’une fois l’examen réussi, on peut retourner à l’école quand on veut. Ce qui m’a permis de m’arrêter pendant un an et de suivre une formation plus professionnalisant à l’École Départementale de Théâtre d’Essonne (EDT91). Depuis petit, c’est ma passion. J’ai tout fait pour que le rêve devienne réalité. Le Droit finalement était une façon d’assurer un avenir au cas où.

Edouard Chapot : J’ai su assez tard que je voulais travailler dans le monde du théâtre. Par contre, je ne me suis jamais posé la question d’en faire, parce que tout simplement cela ne s’est jamais présenté. A la fin de mes études d’histoire de l’art et de droit, la carrière d’avocat ne me tentait absolument pas, celle de commissaire-priseur, qui était pourtant la voie royale aux vues de ma formation, non plus. J’ai découvert sur le tas, comme Mathieu, qu’il existait des écoles pour travailler dans la culture au sens large. Je me suis donc inscrit à Dauphine en master Management des organisations culturelles. Au Lycée, puis à la Fac, j’allais voir beaucoup de spectacles. A la Sorbonne, je gérais une petite billetterie pour permettre aux étudiants d’aller au théâtre à moindre coût. C’est comme ça que j’ai commencé à fréquenter le milieu, à rencontrer les gens, à me passionner pour cet art. Bagages universitaires en poche, j’ai travaillé à la Colline en tant que chargé de diffusion. J’y ai rencontré Sylvain Creutzvault, que j’ai accompagné un temps. J’ai intégré les tréteaux de France. Étant à la fois en compagnie et en structure, gravitant entre production et administration, j’ai mieux appréhendé le monde du théâtre dans toute sa diversité. C’était passionnant. Puis en 2017, j’ai été l’administrateur de la Comédie de Béthune.

Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Edouard Chapot : C’était il y a 10 ans, à une Glad Party – soirée organisée par une théâtreuse pour que que les passionnés d’art vivant puissent faire connaissance. Assez rapidement, est née l’idée de cette collaboration entre un artiste et un administratif. Souvent les choses sont séparées, il nous a semblé que c’était important de les réunir autour d’un binôme. Quand les candidatures pour la direction du Théâtre 14 ont été lancées, on a eu l’envie de défendre cette idée de codirection.

Quel est votre projet pour ce lieu ?

Edouard Chapot : Après 28 ans de bons et loyaux services, Emmanuel Dechartre a quitté la direction du théâtre 14 au printemps dernier. Il a bien évidement marqué la structure de sa patte. Ce qui était intéressant, c’est que l’appel à projet de la Ville de Paris était très ouvert. On s’est vite reconnu dans les points mis en avant comme l’émergence, l’ouverture à de nouveaux publics. Sans rompre avec la ligne précédente, c’est important, il était demandé de la nourrir, de l’enrichir, de la faire évoluer. Il y a eu beaucoup de candidatures. Avec Mathieu, nous avons surtout mis l’accent sur l’idée d’université populaire, de partage de l’outil, de la diffusion du théâtre avec un grand T. Il nous semblait intéressant de permettre aux spectateurs de pouvoir avoir une vision grand angle de ce qui se fait au niveau du théâtre subventionné, tout particulièrement dans les formes d’écriture. C’est notre ambition, notre cheval de bataille.

Mathieu Touzé : on est vraiment sur le texte, les auteurs. Il n’y a pas dans notre projet, par exemple de cirque, de performance, d’écriture au plateau. Après dans les faits, tout cela se développe de façon très différente. Grâce au dispositif que nous avons appelé l’incubateur, nous accompagnons les jeunes compagnies. C’est une manière pour nous d’aider les artistes de demain, à trouver un public, un réseau de diffusion. On a vraiment pensé notre projet en complémentarité d’un parcours théâtral global sur la ville de Paris. On a tout pensé en fonction d’un circuit, de partenariat et non en autonomie. 

Edouard Chapot : En parallèle, il nous semblait logique de présenter des artistes plus confirmés, plus connus. Dans chaque cas, nous avons eu l’envie de tout axer autour du partage. C’est un vrai fil tout au long de la saison. Chacun jouant le jeu. Ainsi, nous avons mis en place des ateliers, des masters classes, des rencontres avec le public.

C’est un véritable changement de cap, par rapport à la ligne précédente.

Mathieu Touzé : Pas tant que cela. Emmanuel avait créé un parcours public privé. Ce qu’il avait finalement mis en place ressemble à ce que nous, nous appelons un incubateur. Il testait certains spectacles pendant trois semaines, un mois, avant qu’ils soient ré-exploités sur de plus longues périodes par d’autres théâtres, comme l’Œuvre, l’Atelier ou le Petit-Montparnasse, ou avant de partir à Avignon.

Edouard Chapot : Pour le coup, nous avons réduit la voilure. Les exploitations seront nettement plus courtes, entre une et trois semaines. Comme l’idée dans le parcours du spectateur, du partage de l’outil, c’est que le théâtre 14 soit une porte d’entrée vers d’autres lieux, d’autres formes scéniques, il faut que l’on puisse montrer ce qui se fait dans la création contemporaine et donc multiplier les œuvres que nous présentons. De janvier à juin, par exemple, nous avons quinze spectacles. Le double de ce qui se faisait avant. Nous ouvrons d’ailleurs avec un cycle sur l’amour et des textes de Rambert, qui est l’un des auteurs de théâtre en vue de cette dernière décennie. Puis Olivier Py présentera Pièces de Guerre, qu’il a créées en décentralisation pour le festival d’Avignon et qui seront jouées hors les murs pour le coup, au centre d’animation en face, mais aussi dans la mairie annexe. L’objectif est d’aller à la rencontre des publics, en intervenant dans différents lieux du territoire, qu’est le 14e arrondissement. Il en est de même avec Je me suis assis et j’ai gobé de Laurent Cazanave qui sera présenté ici mais aussi au lycée hôtelier.

Mathieu Touzé : Pour revenir à votre remarque. Oui, la ligne évolue forcément parce que nous sommes différents d’Emmanuel. Nous n’avons pas le même parcours, le même âge. Mais la transition a été douce. Nous avons été choisis pour renouveler le théâtre 14, sa programmation. Dans les faits, il y a des similitudes. Avec Qui a tué Virginia Woolf ?, par exemple, on est sur du contemporain. Avec La double inconstance, le traitement de Philippe Calvario était très moderne. C’est sûr que nous allons amener de nouvelles esthétiques, mais je ne pense pas que le public soit désorienté. On n’arrive pas avec des formes trop expérimentales. Ce n’est pas notre envie. Nous souhaitons transmettre un certain monde du théâtre, une porte d’entrée vers d’autres formes. Du fait de son côté intimiste, 192 places, il est une première marche vers l’art dramatique, vers certains artistes. Par contre, la vraie grande différence, c’est que nous allons ouvrir le théâtre 14 vers l’extérieur tout en gardant cette proximité avec le public, qui en fait sa singularité. C’est une vraie impulsion de la ville de vouloir que l’ensemble des équipes nommées à la tête de lieux artistiques et culturelles travaillent de concert. Ils sont attentifs à nos relations avec la MPAA, avec le conservatoire et les autres théâtres municipaux. Avec le Monfort, notamment, qui est la structure la plus proche de nous, on a aussi une vraie réflexion. On construit, dans le dialogue, nos programmations.

Allez-vous continuer le parcours spectateurs que vous avez mis en place pendant les travaux ?

Edouard Chapot : on y travaille, d’autant que ça a été un vrai succès. Beaucoup d’anciens abonnés, des amoureux du théâtre, en ont profité avec une vraie curiosité, une belle gourmandise. C’est donc un des chantiers à venir, travailler avec d’autres programmateurs, pour permettre à notre public d’aller vers d’autres lieux, découvrir d’autres pièces d’artistes que nous présentons, pas tant pour continuer le parcours, mais bien pour développer cette Université populaire, cette pédagogie qui nous tient à cœur. Dans cette dynamique-là, nous avons mis en place un pass illimité à 140 euros qui permet de venir quand on veut, voir et revoir certains spectacles. Il offre une vraie liberté, d’autant qu’un tarif accompagnant préférentiel y est adjoint.

Qu’en est-il des artistes associés ?

Edouard Chapot : on les a choisis en rapport avec le projet et la programmation. Ils seront toujours présents au théâtre 14, que ce soit pour des ateliers, ou tout simplement lors de certaines représentations. L’objectif est de donner à ce lieu une vraie convivialité, faire que les gens veuillent rester, revenir, partager.

Mathieu Touzé : Estelle N’TSendé, Océane Cairaty, Séphora Pondi et Yuming Hey sont à l’image de ce que l’on ambitionne pour le lieu. Ils ont été présents à toutes les étapes de réflexions. Ils incarnent physiquement ce qu’est le théâtre 14, tel qu’on l’a pensé.

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


Théâtre 14
20 Avenue Marc Sangnier
75014 Paris

Crédit photos © DR et © Lucie Martin

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