La danse incandescente et funeste du torero

Rubén Molina amène un peu de la " caliente " d'Espagne à Paris.

S’inspirant de la vie de Manolete, de ses convictions autant que de ses doutes, Rubén Molina invite à découvrir l’envers du décor des corridas, à plonger dans le cœur battant de l’arène. Entremêlant férocité des combats et sensualité torride des corps à corps, le ténébreux danseur met la salle du Gymnase-Marie Bell en ébullition. 

Cheveux noirs de jais, silhouette musculeuse, visage fermé, Rubén Molina a tout de l’hidalgo. Posture de matador, assis sur un fauteuil club défraichi, scrutant l’horizon, la salle se remplit, il semble perdu dans de bien sombres et funestes pensées. Sa vie ne tient qu’à un fil. Dans un geste désespéré, il attrape une carabine, tire. Le rideau tombe. C’est fini.

Remontant le fil de l’histoire, le chorégraphe cordouan se glisse dans la peau d’un matador au faîte de sa gloire. Adulé, aimé, il se prépare, enfile son habit de lumière. Le rituel est immuable. Son ami, le chanteur Alberto Garcia, l’aide a enfilé sa culotte, qui gaine parfaitement sa taille, ses cuisses. Tout est réglé avec minutie, rien n’est laissé au hasard. Dans quelques minutes, il va jouer sa vie dans l’arène. Sourire fugace, échanges joyeux, n’ont qu’un temps. La mélancolie l’emporte. L’homme est face à son destin. La tragédie est en marche.

Le torero le sait. Il est attendu au tournant. La foule est là, dehors pour l’acclamer, le voir combattre. Sa mère (Sharon Sultan), sa fiancée (Paloma Lopez), ne sont pas en reste. Elles viennent, l’une après l’autre, réclamer leur part de tendresse, d’amour, de passion. La mort, grise, multiple, aussi s’invite, entre dans la danse, tourmente le toréador. 

Si la tauromachie sert de cadre, elle n’est nullement le sujet de Mátame. Pas question ici de polémiquer, de défendre la barbarie, de prendre position. Rubén Molina reprend les codes de cet art ancestral dont les mouvements saccadés, les pas rapides, font parfaitement écho à ceux du Flamenco. Danse de combat, gestes cassés, bras et jambes tendues, le danseur entre en transe et laisse la fièvre, la fureur emportés son corps. Maîtrisant chaque souffle, chaque enchaînement, il livre une émotion brute, animale, charnelle. 

Les chaussures ferrées cognent sur les planches en bois du plateau venant souligner les complaintes d’Alberto Aria et les mélodies arabo-andalouses jouées en live par Dani BarbaCédric Diot. En quelques tableaux, c’est toute l’Espagne et ses traditions qui vibrent entre les murs du théâtre du Gymnase. Si la dramaturgie mériterait d’être un peu plus ciselé, l’effet « caliente » renforcé par la virtuosité du flamboyant danseur touche juste. 

Entraînant le public dans les idées noires de ce double de Manolete, Rubén Molina signe un spectacle sombre et sensuel, bouleversant autant que percutant. Il y a a pas à dire la chaleur monte de quelques degrés en ce mois de Janvier à Paris. Et c’est sur les grands boulevards qu’il faut venir se réchauffer ! 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore 


Mátame de Ruben Molina
Théâtre du Gymnase – Marie Bell
38 Boulevard de Bonne Nouvelle, 75010 Paris
Jusqu’au 28 janvier 2020 
Tous les mardis à 21h00
Durée 1h15 environ

Mise en scène & chorégraphie de Rubén Molina avec la collaboration exceptionnelle de Nuria Legarda
Avec Rubén Molina, Sharon Sultan, Paloma Lopez, Alberto Garcia, Dani Barba, Cédric Diot
Composition musicale de Daniel Barba
Lumières d’Élise Boisseau
Son de Christine Digier
Costumes de María Molina

Crédit photos © DR

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