Dans l’intimité féroce des révoltes entre passé et présent

Au théâtre de la Bastille, Baptiste Amann clôture sa trilogie Des territoires.

Après Béthune, c’est au théâtre de la Bastille que Baptiste Amann clôture sa trilogie Des territoires. Entremêlant petites et grandes histoires, révolutions d’hier et d’aujourd’hui, il confronte sa fratrie à la guerre d’Algérie. D’un drame à l’autre, le jeune collectif confirme son talent, sa capacité à faire vibrer les cœurs, à toucher juste. 

Derrière une vitre, un homme (Olivier Veillon) s’installe. Animateur radio, il prend possession du studio. Il vérifie que tout fonctionne. Ce matin, accompagné de son éditorialiste (Alexandra Castellon), il reçoit un jeune réalisateur d’origine algérienne (Solal Bouloudnine), qui questionne l’histoire de l’Algérie, la guerre pour son indépendance, à travers le procès, de Djamila Bouhired (Nailia Harzoune), figure héroïque et emblématique du Front de libération nationale (FLN). Très vite le ton monte. Les esprits s’enflamment se nourrissant de l’actualité brûlante, les émeutes dans les cités, suite au décès d’un jeune homme de 16 ans. La discussion tourne court, chacun campant sur ses certitudes, son regard sur l’histoire, la colonisation. 

Changement de décor, le réalisateur rejoint son équipe qui tourne actuellement dans une aile désaffectée d’un hôpital avignonnais. Non loin, dans une chambre aseptisée, un jeune homme git inerte sur un lit. Hier, il enterrait ses parents, morts simultanément. Aujourd’hui, c’est lui que ses frères (Samuel Réhault et Solal Bouloudnine) et sa sœur (Lyn Thibault) veillent. Sa vie ne tient qu’à un fil. Mordu à la gorge par un pitbull, il est en état de mort cérébrale. Faut-il le maintenir sous respirateur ou accepter de faire don de ses organes ? Confronter à l’irréparable, encore une fois, la fratrie continue son introspection. Unie par le sang ou par l’amour, elle affronte ses failles, ses faiblesses, révèle ses forces. 

Après les restes de Condorcet trouvés dans le jardin du pavillon familial, la présence fantomatique et tutélaire de Louise Michel errant dans le salon, Baptise Amann s’attaque cette fois à une autre histoire française, une autre révolte, celle de la guerre d’Algérie. En convoquant sur le plateau Djamila Bouhired, il s’interroge sur le poids de l’identité, de l’héritage, de l’engagement. Comment juger quelqu’un, qui du point de vue français est une terroriste, du point de vue algérien une libératrice ? Plume acérée, vive, riche, l’auteur-metteur en scène creuse les sillons de l’intime autant que de la grande histoire. Né à deux pas des cités, ayant grandi à l’ombre des HLM, il parle avec lucidité, intelligence de ce qu’il connaît. Libérant les paroles, brisant les chapes de plomb qui étouffent les maux du passé, du présent, il signe une fresque théâtrale vibrante parfaitement ciselée. 

Partant du quotidien, des affres de la vie, Baptiste Amann esquisse des portraits d’hommes, de femmes en prise avec le réel mais matiné de poésie. Rien ne lui échappe, ni le bruit mécanique du respirateur, ni la colère froide du frangin face à son incapacité à sauver son cadet, ni la résignation de la sœur qui se sent coupable de tout, ni la froide carapace du médecin. Il ausculte le monde pour mieux en extraire ses noirceurs, ses beautés. Faisant son devoir de mémoire, après le déni, la rage, il s’engage sur la voie du pardon, de la réparation. Surtout ne pas oublier, la colonisation, ses ravages, les jeunes des cité morts lors d’intervention policière, les émeutes qui ont suivie, avec justesse, émotion, le jeune auteur investit ces sujets délicats, ces zones d’ombres. 

S’entourant de comédiens hors pairs, engagés, amis de la première heure, comme Solal BouloudnineYohann PisiouSamuel RéhaultLyn ThibaultOlivier Veillon, ou plus récemment venus comme Alexandra Castellon – extraordinaire en Vergès – et Nailia Harzoune – bouleversante en Djamila Bouhired – Baptiste Amann explore par sa mise en scène acérée, minutieuse, sensible, tous les territoires ceux de son enfance, ceux de ces personnages historiques, héroïques, ceux d’une société qui préfère taire ses plaies plutôt que de les panser. Un dernier opus percutant entre lyrisme et réalisme.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


Des territoires (…Et tout sera pardonné ? ) de Baptiste Amann
Texte à paraître aux Éditions Théâtre Ouvert/tapuscrit
Création à la Comédie de Béthune
Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette 
75011 Paris
Jusqu’au 13 décembre 2019 
Durée 2h30


Mise en scène de Baptiste Amann
Avec Solal Bouloudnine, Alexandra Castellon, Nailia Harzoune, Yohann Pisiou, Samuel Réhault, Lyn Thibault, Olivier Veillon
Collaboratrice artistique Amélie Enon 
Régie générale de François Duguest
Création lumière de Florent Jacob 
Création sonore de Léon Blomme 
Scénographie de Baptiste Amann 
Construction décor Atelier Lasca 
Costumes de Suzanne Aubert

crédit photos © Sonia Barcet

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