Fidèle, passionnée, curieuse, Brigitte Lefèvre, l’ancienne directrice du ballet de l’Opéra de Paris, continue son exploration de la danse, à s’émerveiller pour cette discipline qu’elle a longtemps pratiquée. Du hip-hop à la danse classique, en passant par le contemporain, le traditionnel, elle s’intéresse à toutes les formes, tous les styles. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un œil sur la programmation de la 22ᵉ édition du Festival de Danse Cannes Côte d’Azur. Rencontre.
Sourire aux lèvres, les yeux pétillants, Brigitte Lefèvre soigne ses entrées. Le dos droit, le pas léger, la démarche aérienne, son passé de danseuse et de chorégraphe se lit dans son maintien, cette grâce bien à elle de saluer, d’entamer une conversation. Pas de chichi, elle n’en est pas friande, mais une belle sincérité, une curiosité de l’autre, de partager un moment autour d’une tasse de thé, de café. A quelques jours de l’ouverture du festival de danse à Cannes, dont elle est la directrice artistique depuis 2015, nous la retrouvons à quelques pas de la place du Chatelet, dans un bistrot typiquement parisien, où elle a des habitudes.
Comment êtes-vous arrivée à la tête de cette biennale de danse à Cannes ?
Brigitte Lefèvre : Après avoir passé près de 23 ans dans les arcanes de l’Opéra de Paris, je n’avais pas de velléités particulières. Je suis une grand-mère comblée, j’adore m’occuper de petits enfants, passer du temps en Bretagne. Il n’y avait donc pas de désir à me hasarder dans ce genre d’aventure qui est de diriger un tel festival. Après, j’ai été profondément touchée d’être sollicitée par René Corbière qui représentait la ville. Puis, suite à un concours de circonstances heureuses, j’ai fini par donner mon accord. Je n’avais absolument pas prévu d’être reconduite en 2017 pour deux autres éditions. C’est la vie. C’est passionnant. Et puis pouvoir ouvrir la danse à d’autres publics, lui donner une visibilité est un challenge passionnant. C’est depuis longtemps dans mon ADN. Après, pour être totalement honnête, j’ai une profonde admiration pour cette danseuse étoile qu’est Rosella Hightower, une voyageuse, une femme avec une détermination très forte. J’ai eu l’occasion de la voir danser, de la connaître. C’était la reine de l’équilibre sur pointe. J’ai beaucoup aimé qu’un jour elle décide de se poser à Cannes et d’ouvrir une école de danse de haut niveau, avec une vraie ouverture sur tous les styles. Son engagement à vouloir transmettre sa flamme, son métier, ne pouvait que me plaire. Alors prendre la tête d’un festival dans un territoire si bien doté, avec une telle référence, m’a rapidement passionnée. J’y ai pris goût d’autant que j’ai beaucoup aimé travailler avec l’équipe sur place, celle du palais du Festival. Mais cela demande une exigence, une curiosité. Il n’était pas question de rester dans les chemins tracés. J’ai souhaité ouvrir le festival à tous les courants sans, pour autant, et c’est important, céder à la facilité. La danse est un art intense qui demande de la rigueur. C’est un sacerdoce. Quand je pense aux différentes pièces que je pourrais programmer, à ce que je veux montrer, je vois cela dans un ensemble qui allie le savoir bien sûr, l’abandon autant que la contrainte des corps, cette flamme, cet esprit qui anime chorégraphes et danseurs. Pour cette troisième édition, il n’y a pas moins de 21 spectacles venant du monde entier, des exclusivités, des créations mondiales, ainsi que des reprises ou des revisites de ballets classiques. Et particularité cette année, le festival s’ouvre à six autres municipalités.
Comment faites-vous le choix des spectacles que vous sélectionnez ?
Brigitte Lefèvre : C’est entièrement ma responsabilité. Mais comme j’en ai pris l’habitude à Garnier, il faut penser à l’œuvre, mais aussi au lieu où elle peut être présentée, il faut intégrer les budgets, l’infrastructure autour, la disponibilité des chorégraphes, des compagnies. C’est un vrai puzzle à construire. Après, je pars d’une idée toute simple. Que fait le corps quand il a envie de danser ? il est animé par le cœur, l’âme, la pensée. Il s’exprime à sa façon, sans manière. Il y a donc en tout cas dans ma tête une vraie trame qui lie les spectacles, les interprètes, les chorégraphes. C’est un festival où les projets se répondent. Les styles sont différents. On passe du classique au très contemporain, d’un pays à l’autre, c’est une sorte de voyage à travers cet art singulier, un « instant T » absolument pas exhaustif de ce que l’on peut voir actuellement. Certes on ne peut jamais tout faire, mais je pense que c’est utile pour les artistes indispensables pour le public de s’ouvrir au monde, d’écarquiller grand les yeux. Le principal pour moi, sachant que c’est quasiment impossible de voir toutes les 21 pièces, c’est qu’au moins en en voyant une, un spectateur a été touché, bouleversé, qu’il est différent en sortant de ce qu’il était en entrant. Par exemple, la pièce de James Sewell d’après la première œuvre cinématographique de Frederick Wiseman tournée en milieu carcéral, Titicut Follies, est un moment unique. Touché par ce film, il en a fait une danse, il a voulu traduire son ressenti à travers des gestes, des mouvements. Malheureusement, ce n’est pas repris. C’est dommage. Je suis heureuse de le présenter, de permettre au public de le voir. Il faut continuer à montrer toutes ces sources d’inspirations.
Quels sont les moments forts de ce festival ?
Brigitte Lefèvre : Vaste question. Il y a par exemple Sacha Waltz qui présente Korper, une de ses œuvres les plus fortes. La pièce a peu tourné en France. Je trouvais bien de permettre à de nouveaux publics de la découvrir. Il y a Magma, la création qui clôture le festival avec Marie-Agnès Gillot, le danseur de Flamenco Andrés Marín, qui n’a jusqu’alors jamais dansé avec un ou une partenaire, et Christian Rizzo, qui est un vrai désir pulsionnel de ma part. Je suis très heureuse aussi de pouvoir présenter la première de Butterfly, une pièce de Michael Le Mer, inspirée d’une de ses promenades de jeune papa. Au programme, en partenariat avec l’orchestre de Cannes, qui sera partie prenante dans la danse, il y a aussi la pièce de Marion Levy qui utilise comme matière première les contes de la mère l’Oye. Noé Soulié retravaille trois de ses anciennes créations avec un autre danseur, en l’occurrence Vincent Chaillet du ballet de l’Opéra de Paris. J’ai aussi invité Amala Dianor qui reprend sa pièce pour neuf danseurs, The Falling Stardust. Mon cher, Laurent Hillaire et le ballet Stanislavski – une centaine de personnes -, vont donner Giselle, d’après le livret Théophile Gauthier. Je suis aussi très heureuse de pouvoir accueillir la pièce d’Olivia Grandville, A l’Ouest, qui s’intéresse au folklore des tribus autochtones du Québec et du Nouveau Mexique. Je pourrais les citer tous, notamment le spectacle d’ouverture du Béjart Ballet Lausanne, qui combine le répertoire de Maurice Béjart dans un patchwork de ses pièces, mais aussi la dernière création de Gil Roman, le nouveau directeur de la compagnie. Je voudrais juste dire un mot sur un spectacle qui me touche particulièrement, Parallèles de Raphaël Cottin et Jean Guiserix qui évoque une grande personnalité de la danse, une de mes amies, Wilfride Piollet.
Est-ce important d’ouvrir le festival sur un territoire plus vaste ?
Brigitte Lefèvre : Bien évidemment. En venant régulièrement à Cannes pour préparer le programme, pour assister à des réunions, je me suis rendue compte qu’il y avait plein de lieux qui diffusaient de la danse, que ce soit à Mougins, où s’est installé l’école de danse de Cannes, dirigée par Paola Cantalupo, au théâtre de Grasse sous l’impulsion de Jean Flores, à Antibes, à Nice, à Carros ou à Draguignan. Il y a donc de nombreux lieux pour accueillir les 21 spectacles, les films, les résidences. Ce qui est intéressant aussi à Cannes, c’est que c’est la première ville pour son implication artistique. Ce que je trouve passionnant, ce qui me motive.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Festival de Danse Cannes Côte d’Azur – Edition 2019
Crédit portrait © DR, crédit Cannes Jeune Ballet – Rosella Hightower © Grégory Batardon, crédit James Sewell Ballet © Ian Douglas, crédit Magma © Julien Benhamou