Après avoir envoûté Montpellier cet été et charmé Paris cet automne, la dernière œuvre d’Angelin Preljocaj part en tournée. Sublimant les lied de Schubert, le chorégraphe, directeur du Ballet Preljocaj /Pavillon Noir à Aix en Provence, revient sur son parcours et sur les étapes de création de cet opus à la beauté sombre, mélancolique.
Le temps est compté. Angelin Preljocaj est un homme pressé, un artiste en mouvement. C’est donc dans le foyer de son hôtel que nous avons rendez-vous. Souriant, affable, il y a dans ses gestes, dans sa posture, une grâce infinie, celle que l’on retrouve dans son écriture chorégraphique. Passionné par son métier, il accepte de répondre à quelques questions, à replonger dans ce qui le motive au quotidien, lui donne la flamme, la fièvre, l’envie de transmettre des émotions, des ressentis à travers l’expression des corps.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire ce métier ?
Angelin Preljocaj : D’une façon assez curieuse, c’est une photographie qui m’a mis le pied à l’étrier. C’est assez bizarre d’autant que la danse est plutôt une discipline du mouvement. J’étais à l’école primaire, une camarade de classe m’a prêté un livre. A l’intérieur, un instantané de Noureev m’a bouleversé. J’étais fasciné par sa posture, l’impression de sérénité, de mobilité qui s’en dégageait. Pour l’anecdote, je faisais du judo à l’époque, je suis donc allé avec mon pantalon de kimono au cours d’initiation de danse. J’ai eu une révélation. A 17 ans, j’ai fait une pause. J’avais l’impression que je ne trouvais pas dans la danse classique un espace de création. J’ai redécouvert mes sensations, mon goût pour cette discipline, à travers le prisme de la danse contemporaine de Karine Waehner.
Avez-vous dès le départ su que vous vouliez être chorégraphe ?
Angelin Preljocaj : C’était inconscient, j’avais ce plaisir du mouvement à travers la musique. J’aimais les gestes, les enchaînements comme au judo. Je crois que cet art martial m’a influencé par la suite dans mon travail. J’avais ce plaisir d’être dans un rapport au corps. Quand j’ai rencontré la danse classique, j’étais fasciné par le pianiste, la musique, ce que cela provoquait en moi. Ce désir impérieux de suivre la mesure, d’entrer en résonnance avec les notes. Très vite, j’ai eu le besoin de trouver une signification au sens créatif. Qu’est-ce que je pouvais faire des émotions qui me traversaient. A l’adolescence, influencé par les courants rocks, je m’y suis mis. Mais c’est quand j’ai rencontré la danse contemporaine, que tout a fait sens. Tout était là pour aller de l’avant et créer des formes nouvelles. Rapidement la seule interprétation ne me suffisait pas, j’ai eu envie de suivre mon propre langage, ma propre écriture. Ce ne sont pas que les mots, c’est un moyen de communiquer, de partager différemment. Il faut un conscient collectif pour faire circuler le langage et en faire un mode de création, d’expression.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de donner corps aux Lied de Schubert ?
Angelin Preljocaj : C’est avant tout une commande de la Scala de Milan. Après, il s’avère que Winterreise fait partie au même titre que le Boléro de Ravel, que j’ai inclus dans mon précédent spectacle, des musiques qui me suivent partout, qui sont sur ma playlist. J’avoue qu’une fois le projet lancé. Je me suis demandé comment adapter à la scène, ce poème, composé de 24 lied, tous très mélancoliques. Je ne voulais pas tomber dans le travers du pathos. Je me suis donc appuyé sur la rythmique du piano et le phrasé mélodique de la voix. Ainsi, le texte est évoqué d’une façon métaphorique, mais il n’y a pas un danseur qui joue le rôle du personnage, c’est une façon de diffracter son image. Une fois, les représentations à la Scala passées, j’avais l’envie de faire vivre cette pièce chorégraphique. J’ai donc demandé à la direction de l’établissement milanais de pouvoir lui donner une seconde chance avec les danseurs du Pavillon noir. Un accord a été trouvé, l’aventure continue.
Comment s’est fait la passation entre les deux troupes ?
Angelin Preljocaj : Cela s’est fait naturellement. Mon style est personnel et particulier. Les danseurs de la Scala ont dû vraiment travailler pour acquérir certaines dynamiques, tout comme mes danseurs d’ailleurs. C’est un beau voyage mélancolique à douze interprètes que j’accompagne.
Cet été à l’occasion de festival Montpellier Danse vous avez proposé un spectacle dont les interprètes étaient toutes des détenues du centre pénitencier des Baumettes. Comment l’idée de cette pièce est venue ?
Angelin Preljocaj : C’est venu en discutant. J’avoue au début, je ne savais pas trop vers où nous allions. J’ai pensé tout d’abord à faire une restitution d’ateliers. Mais, en les côtoyant, en imaginant que les spectateurs ne verraient qu’une partie de l’iceberg, j’ai eu envie d’aller au-delà, de leur offrir sans qu’elles se dévoilent totalement, une occasion de dire par le geste, le mouvement, qui elles sont vraiment au plus profond de leur cœur.
Comme une restitution de leur histoire intime ?
Angelin Preljocaj : En prison, il y a forcément des mouvements répétitifs. Il fallait donc de façon métaphorique autant que poétique rendre compte de ce quotidien qui se renouvelle chaque jour de la même manière, une régularité, une mécanique presque implacable. L’atelier de cuisine qui débute le spectacle, s’est mis en place en discutant avec elles. C’était une manière de se retrouver, de réapprendre à vivre, de sentir à nouveau.
Quel est l’impact pour les cinq interprètes ?
Angelin Preljocaj . Le plus important, je crois, c’est le changement de regard qu’on a sur elles. Que ce soit le nôtre de simple citoyen, ou celui des juges. Ce sont des femmes qui ont envie de se libérer, elles ont accepté le projet pour cela. Puis, et c’est ce, qui est beau et fort, elles se sont prises au jeu. Elles ont vraiment l’envie de se réinsérer.
Entretien réalisé par Marie Gicquel et Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Winterreise d’Angelin Preljocaj
Tournée
Les 11 et 12 janvier 2020 au Théâtre Graslin (ANO, Angers Nantes Opéra)
Les 19 et 20 mars 2020 à l’Opéra National de Bordeaux
Le 24 et 25 mars 2020 à l’Opéra de Rennes
Le 27 mars 2020 au Quai, Angers (CNDC)
crédit portrait © Jörg Letz, © OFGDA et crédit photos © Jean-Claude Carbonne