Aux Célestins à Lyon, Aurore Fattier fait d’Othello de Shakespeare, un drame d’aujourd’hui, raffiné, cynique. Victime de sa couleur de peau, le maure vénitien, campé avec juste intensité par Cyril Gueï, irradie la scène crument. Un éclairage féroce sur l’état de nos sociétés occidentales où racisme et sexisme ont malheureusement encore de beaux jours.
En ouverture de saison, le Théâtre des Célestins à Lyon fait le choix audacieux de monter un Othello résolument contemporain. De la Venise flamboyante de la Renaissance ne reste que les masques du fameux Carnaval, de Chypre, qu’un baraquement de bois, rappelant furieusement quelques containers de chantier. Épurant la scénographie, Aurore Fattier s’attache à faire entendre la tragédie shakespearienne. Ajoutant quelques textes plus modernes, des sonorités jazzy « ambiance Broadway », elle éclaire l’intemporalité du propos, souligne comme le dramaturge Anglais en son temps, le racisme crasse, le sexisme ambiant, le féminicide ordinaire de nos sociétés occidentales.
Peu d’artifices, quelques vidéos mettant en lumière les terribles manigances de l’ombre, scrutant sur les visages la tempête de sentiments qui les assaille, les mine, le jeu précis, tranché est au centre de cette mise en scène particulièrement léchée. La violence du drame n’en est que plus éclatante. Pourtant tout commence sur de beaux augures. Le Maure Othello (Cyril Gueï), général de la Sérénissime, reconnu pour sa bravoure, file le parfait amour avec Desdémona (Pauline Discry), la fille d’un noble vénitien. Une bluette qui n’est pas du goût de tous les praticiens. Dénoncé pour mauvaise conduite au doge qui le convoque, l’homme fier en ressort grandi après avoir annoncé son mariage avec la belle.
Les temps sont durs. La République est menacée. Chypre est à deux doigts de tomber entre les mains des turcs. Le guerrier se doit tout entier à sa mission. Il part donc avec ses hommes et sa jeune femme. Profitant de quelques désaccords, de la faiblesse de la nature humaine, Iago (Koen De Sutter) tisse une toile diabolique autour du maure pour le faire tomber de son piédestal. Instillant dans son âme fiévreuse, jalousie, haine, il l’entraîne vers sa funeste chute.
Portée par le très réussi duo Cyril Gueï – Koen De Sutter, tous deux excellents, l’adaptation d’Aurore Fattier met en exergue la droiture bornée de l’un, la roublardise sibylline de l’autre. On peut toutefois regretter qu’elle en néglige un peu les autres rôles, notamment celui de Desdémona qui manque d’éclats. C’est d’autant plus dommage qu’on se laisse prendre par ce texte remanié, très moderne, très acéré. Si la fin perd en intensité, trop d’affairisme en dilue l’horreur, la pièce touche juste en faisant écho aux petites comme aux grandes violences devenues par trop quotidiennes : La peur de l’autre, son rejet, la mort des femmes sous les coups de leur conjoint. Rien que pour cela, le spectacle vaut le détour.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Lyon
Othello de William Shakespeare
Théâtre des Célestins
4, rue Charles Dullin
69002 Lyon
Jusqu’au 28 septembre 2019
Durée 3h30 avec entracte
Mise en scène d’AuroreFattier assistée de Lara Ceulemans
Avec CyrilGueï, MarieDiaby, PaulineDiscry, FabienMagry, Vincent Minne, Annah Schaeffer,KoenDeSutter, JérômeVaranfrain, Serge Wolf
Adaptation et dramaturgie de Sébastien Monfé
Collaboration à l’adaptation et traduction William Nadylam
Collaboration artistique Sarah Brahy
Scénographie de Sabine Theunissen assistée de Simon Detienne
Composition musicale de Manuel Roland
Lumière de Matthieu Ferry
Son de Jean-Maël Guyot
Vidéo de Vincent Pinckaers
Costumes de Prunelle Rulens
Maquillages et coiffures de Rebecca Flores
Crédit photos © Annah Schaeffer / © DR