Les Francophonies : jour pluvieux, jour chaleureux

Aux Francophonies, la diversité est à l'honneur.

A Limoges, le festival des Francophonies – les Zébrures d’automne bat son plein. Si la météo n’est pas au rendez-vous, le soleil est dans les salles où danseurs, comédiens, musiciens excitent notre imaginaire, invitent vers un ailleurs réel ou fantasmé. Un moment hors du temps qui rend compte de la diversité et la richesse culturelle du monde. 

Les gouttes tombent sur le bitume gris de la ville, célèbre pour sa gare, sa porcelaine. Derrière les grandes grilles de l’ancienne caserne Marceau, un chapiteau est dressé. C’est le cœur de l’événement. Les festivaliers s’y retrouvent pour échanger, boire un verre, un café, écouter de la musique live. L’ambiance est bon enfant. Hassane Kassi Kouyaté, nouveau directeur des Francophonies, partage un moment avec chacun, fait visiter les lieux, qui se veulent conviviaux, festifs. On parle art, théâtre, politique, état du monde. On échange, on se frotte à d’autres cultures, d’autres vies. 

Intempestive, la pluie ne laisse pas de répit. Il est temps, pourtant de partir à la découverte du petit peuple des brumes. Entouré d’une trentaine d’enfants de 4 à 6 ans, on pénètre dans un salon. Auprès d’une grande cheminée, aux sons d’une harpe, un homme (Bernard Chemin) conte de sa voix douce l’histoire extraordinaire, d’une civilisation oubliée, cachée. Titillant notre curiosité, il nous invite à le suivre à traverser l’âtre, de se perdre dans le brouillard qui s’échappe du foyer, à aller à la rencontrer de ce peuple. Une cloche à la main pour se repérer, le voyage commence. De la prairie, du village, de la forêt fantasmés, il ne reste plus rien. Sous les yeux ébahis des petits, tout un monde se révèle par touches. De petits personnages en sisal, s’animent, donnent vie à cette lande dévastée. Grâce aux talents des comédiens – manipulateurs, les mystères se révèlent, les amitiés naissent, la peur de l’autre disparait, la vie reprend. Parfait pour les petits, ce spectacle vaut pour sa belle inventivité. 

C’est à quelques encablures du centre-ville, au CCM Jean Moulin, que les chorégraphes burkinabés, Bienvenue Bazié et Seydou Boro, proposent dans un même programme deux soli, Errances et Koteba – forme de théâtre traditionnel bambara. Le premier conte l’histoire d’un homme obligé de quitter son foyer. L’autre celle de la violence du monde, des agressions faites aux femmes. Dialoguant avec une sculpture du plasticien Jean-Philippe Rosemplatt, baptisée Le Fardeau, le danseur habité Auguste Ouedrago convie à une plongée dans l’âme de cet homme portant sa maison sur ses épaules. Migrant, nomade, il cherche par ses gestes lents, empruntés d’une grâce pleine d’un espoir incertain, à retrouver un point d’ancrage, un lieu où (sur)vivre. Pour sa dernière création, et ultime pièce en tant qu’interprète, Seydou Boro, grimé d’argile ocre, torse nu, interroge la nature des hommes, sa férocité. Si les quelques mots prononcés évoquent viols, agressions sexuelles, les mouvements sont plus léchés, presque trop beaux. Faute d’aspérité, cette danse empruntant au vaudou ou butô ses transes, et dénonçant la barbarie, le machisme, les féminicides, manque de puissance, de densité. Reste, la technicité, la présence d’un artiste captivant. 

Les heures passent. Le soleil pointe son nez, éclairant le ciel d’un rose pâle du plus bel effet, de quoi donner des forces, du baume à l’âme, avant de plonger dans le conte noir de Catherine Boskowitz.  Avec Le pire n’est pas toujours certain, la metteuse en scène s’empare du sujet brûlant de l’exil, du déracinement. Partant de l’essai des Frères migrants de Patrick Chamoiseau, mais aussi de textes d’Hannah Arendt ou de Paul Claudel entre autres, elle dresse un récit patchwork, un puzzle où se côtoient êtres de chair, de sang, et personnages fantasmés. Une fée, un chien viennent à la rencontre d’un fonctionnaire européen, d’une syrienne ballotée d’un camp de rétention à l’autre, mais refusant de baisser les bras, de perdre son optimisme. Faute d’une dramaturgie ciselée et malgré un travail documentaire dense, le spectacle a bien du mal à captiver, à surprendre, à saisir. Avec un tel sujet, on attendait peut-être, plus de matières, de corps. 

La journée s’achève au rythme des notes poétique, énergiques du groupe San Salvador. Elle fut dense, intense, bouleversante. Fort de ces nouvelles rencontres, de ces créations qui abordent des sujets forts qui ne peuvent laisser indifférents, même si la forme peut déroutée, laissée dubitatif, on ressort grandi, et l’envie d’être à demain pour d’autres aventures. 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Limoges


Les Francophonies – Les zébrures d’Automne
Jusqu’au 5 octobre 2019


Le petit peuple des brumes du Théâtre du Papyrus
Expression 7

87000 Limoges
Équipe de création : Bernard Chemin, Julie Chemin, Gaëlle Clark, Didier de Neck, Emmanuel Fardeau, Christine Flasschoen, Caio Gaïarsa, Marie Kersten, Jérôme Lagrange, Anne-Marie Loop, Denis Mpunga
Avec Bernard Chemin, Denis Mpunga, Christine Flasschoen, Fred Postiau 
Équipe de mise en scène : Bernard Chemin, Didier de Neck, Emmanuel Fardeau, Caio Gaïarsa
Scénographie et marionnettes : Christine Flasschoen
Aide à la création du décor : Guy Carbonnelle, Céline Robaszynski, Olivier Waterkeyn

Errances d’Auguste Ouédraogo et Bienvenue Bazié
Le CCM Jean Moulin

chorégraphie de Bienvenue Bazié
Avec Auguste Ouédraogo
Sculpture “Le fardeau” de Jean- Philippe Rosemplatt
Musique de Jon Hopkins et Manuel Wandji
Scénographie fr Bruno Lahontâa
Création lumière de Fabrice Barbotin


Koteba de et avec Seydou Boro
Le CCM Jean Moulin

Collaborateur artistique de Bienvenue Bazié
Création lumières Georgia Ben Brahim
Musiques Superter, Baaba Maal, Jean-Emile Biayenda, Richard Bona

Le pire n’est pas toujours certain de Catherine Boskowitz
Le CCM Jean Gagnant

mise en scène de Catherine Boskowitz assistée de Laura Baquela
Avec Catherine Boskowitz, Frédéric Fachéna, Estelle Lesage, Marcel Mankita, Nanténé Traor et le danseur Andreya Ouamba
Musique de Jean-Marc Foussat
Création lumière de Laurent Vergnaud
Scénographie de Jean-Christophe Lanquetin assisté de Anton Grandcoin, et Jacques Caudrelier
Costumes de Zouzou Leyens
Régie plateau Paulin Ouedraogo

Crédit photos © Christophe Péan / © Sonia Yassa

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