Dans un dialogue sur la vie, à bâtons rompus, avec un autostoppeur de vingt ans, Michel Foucault esquisse le portrait d’une jeunesse rebelle, révolutionnaire, qui se voudrait sexuellement libre, mais qui n’échappe pas à son éducation judéo-chrétienne. En donnant vie à ses échanges post-68, quelques quarante ans plus tard, Pierre Maillet et Maurin Olles frappent juste, fort, et ébranlent les carcans de notre société contemporaine en plein repli.
Eté 1975. Un jeune homme de vingt ans (extraordinaire Maurin Olles) fait du stop place Dauphine, à deux pas du domicile familial. Rejeton d’une fratrie de six où s’entremêle le sang vieillissant d’une bourgeoisie décadente et celui neuf de nouveaux riches, il est en pleine rébellion avec son milieu, ses règles, ses principes, ses idées politiques. Sexy en diable dans son jean gris, « pattes d’eph », il ne met pas longtemps à trouver une voiture qui l’emmène à Caen. La voiture blanche n’a rien d’exceptionnel. Son conducteur, crâne rasé, tenue impeccable, chic, n’est autre que Michel Foucault (troublant Pierre Maillet). Commence entre les deux hommes, une relation faite de sexe, de discussions informelles sur de nombreux sujets de sociétés.
Sans tabou, Le philosophe questionne ce « garçon de vingt ans ». Il cherche à comprendre cette jeunesse qui le dépasse, l’enivre, le fascine. Militant actif au FHAR, front homosexuel d’action révolutionnaire, il est aussi tendance maoïste sur les bords. Il revendique une sexualité sans frontière, mais refuse d’aimer. La baise oui, surtout avec les garçons, c’est plus simple. Mais gay, pas sûr, il n’y croit pas c’est juste du sexe facile. La drogue, oui, mais il n’aime pas avoir la tête en vrac. La famille, il la rejette. En guerre ouverte avec son père, il quitte tôt la maison. Mais il se verrait bien vivre avec ses frères, surtout avec les plus jeunes. Et pourquoi pas coucher avec. Après tout, il joue à touche pipi depuis l’enfance. Le travail, c’est plutôt des petits boulots pour survivre. La musique, les Rolling Stones. Son regard sur la société est tranché. Cela amuse Foucault. La voix chantante, il questionne sans relâche, s’intéresse, ne juge pas. Il veut juste savoir, saisir l’esprit post-68.
De ces échanges entre un inconnu Thierry Voeltzel et le philosophe, resté anonyme à l’époque, est né en 1978 un livre Vingt et après. C’est de cette retranscription faite par Mireille Davidovici que Pierre Maillet extirpe une matière théâtrale passionnante. Peu d’effets, jeu minimal, naturel, presque inexistant, juste un acteur, une voix. Reproduisant le schéma de l’interview, le comédien et metteur en scène, est installé au dernier rang. Il donne la réplique à Maurin Olles, comédien bouleversant l’an passé dans J’ai pris mon père sur mes épaules de Fabrice Melquiot, qui habite la scène avec une belle désinvolture, une présence lumineuse, vibrante.
Entre travail documentaire et véritable engagement politique, Pierre Maillet éclaire habilement une époque révolue, celle de l’après 68, qui fait étrangement écho à la nôtre. Tout a changé, rien n’a changé. L’acceptation de l’autre, de sa différence est toujours plus facile quand celui-ci est loin, pas familier. Alors que les sociétés occidentales se referment sur elles-mêmes, rejetant tout ce qui n’est pas dans la norme patriarcale, blanche, hétérosexuelle, ce spectacle simple, cru, est d’une absolue nécessité. Foncez le découvrir aux plateaux sauvages dans le cadre de la carte blanche Pierre Maillet. C’est juste, c’est beau !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Letzlove, Portrait(s) Foucault d’après Vingt ans et après de Thierry Voeltzel
Les plateaux sauvages
7, rue de la plâtrière
75020 Paris
Représentation unique le 27 septembre à 21h30
Durée 1h20
Texte de Michel Foucault et Thierry Voeltzel
Adaptation et mise en scène de Pierre Maillet
Avec Pierre Maillet et Maurin Olles
Crédit photos © Tristan Jeanne Vallès