Au théâtre des Halles, avec son complice Jean-Baptiste Sastre, Hiam Abbass fait entendre les mots de la philosophe Simone Weil, dans Plaidoyer pour une civilisation nouvelle. Engagés politiquement, écologiquement, ils ont imaginé une scénographie basée sur la bioluminescence. Rencontre sous d’heureux auspices.
La chaleur est étouffante dans les rues d’Avignon en ces derniers jours de festival. C’est non loin de la petite Chapelle, où elle joue son spectacle, que Hiam Abbass nous a donné rendez-vous. Comédienne d’origine palestinienne, habituée du grand écran, elle a accepté le temps d’un café de revenir sur sa longue carrière, son amour du théâtre. Accompagnée de Jean-Baptiste Sastre, son metteur en scène, elle nous attend à la terrasse ombragée d’un café.
Quand le théâtre est- il devenu important pour vous ?
Hiam Abbass : J’ai l’impression qu’il fait partie de ma vie depuis que je suis toute petite. Je n’ai pas de moment précis en tête. A dix ans, mes parents m’ont inscrite à des cours. Après tout s’est enchaîné. J’ai d’abord fait des études de photographie à Haïfa avant de revenir vers le théâtre. Je me souviens parfaitement de mon premier rôle. C’était au théâtre El-Hakawati à Jérusalem-Est, qui venait de rouvrir. J’ai ainsi participé à sa reconstruction. J’ai y passé huit ans de ma vie. Depuis, il est devenu le premier théâtre palestinien là-bas. Ensuite j’ai pas mal visité le monde, vagabondé, avant de m’installer à Paris. En 2011, j’ai rencontré Jean-Baptiste. Il m’a proposée un rôle magnifique dans Phèdre et les oiseaux deFrédéric Boyer. A partir de ce moment-là, nous ne nous sommes plus quittés artistiquement parlant. On rêve tous les deux d’un théâtre, qui interroge le monde, nos sociétés contemporaine, nos comportements, qui va au-delà des codes, des chemins tracés. On a le même désir de faire des choses autrement, différemment. Dès le début de notre collaboration, nous sommes sortis des parcours traditionnels. On a commencé à travailler avec une communauté Emmaüs en France, des SDF Berlin. Ils étaient le chœur antique de la pièce. On a aussi sollicité des enfants des rues à Venice Beach, puis des jeunes sourds muets en Israël. L’objectif est de travailler localement avec les gens et d’utiliser leur langue. En tout cas avec Jean Baptiste, on s’essaye à des formes de théâtre singulières, différentes. Effectivement, on pousse toujours la pensée au-delà afin de provoquer des désirs, des recherches qui impliquent autre chose qu’on n’a pas l’habitude de voir, de faire. Aujourd’hui, on vit dans un monde où je crois qu’il faut rester éveillée, quand j’essaye de m’endormir, j’ai une voix qui me vient, qui m’appelle constamment pour me questionner sur mes envies du moment, ce que j’ai envie d’exprimer par rapport à l’actualité. Là, j’avoue, je de te demanderais bien en mariage Jean Baptiste. Rires à part, sur Plaidoyer pour une civilisation nouvelle, on avait envie de parler d’humanité dans un monde qui est en train de la perdre. C’est comme cela qu’on en est venu à s’intéresser au trio de penseurs Simone Weil, Georges Bernanos et Charles Peguy. Leurs regards sur la société me touchent, m’interpellent.
Jean Baptiste Sastre : j’ai commencé le théâtre pour emmerder tout le monde. Non vraiment, Je suis vraiment arrivé par hasard dans ce métier. J’ai suivi un copain qui voulait passer le concours du conservatoire. Je l’ai suivi. Je me suis dit pourquoi pas. C’était écrit. Le reste est un enchaînement de projets de rencontre.
Au-delà des mots, votre projet a un axe biologique écologique. Comment cette envie est-elle née ?
Jean Baptiste Sastre : En effet, on va créer un couple de vers luisants. Actuellement, les pesticides font que les lucioles, les vers luisants sont en train de disparaître. L’idée était donc de partir d’un de ces insectes qui produit de la lumière avec son abdomen. En questionnant les scientifiques, rapidement, est venue sur le tapis la bioluminescence, une réaction chimique due à une bactérie. En travaillant en liens étroits avec des biologistes du CNRS, on s’est rendu compte qu’il y avait toute une technologie en développement. Dans quelques années, il est tout à fait possible d’envisager qu’on puisse éclairer une rue en utilisant cette technique. C’est incroyable de se dire que la nature est une source de lumière éclatante. Vous avez les yeux des poissons, bref tout un monde, que je ne connaissais pas du tout. Ça fait du bien de parler à des scientifiques plutôt qu’a des scénographes ou des décorateurs. Ça change totalement la donne, le regard sur le spectacle. A un moment, je me suis même dit que cela permettait de symboliser la fragilité de la vie. J’ai pensé à la luciole, cette toute petite bête, qui irradie et pourtant qui est menacée par un environnement de plus en plus délétère. D’ailleurs, c’est très étonnement mais je trouve que cela à une résonnance avec les propos de Bernanos et Weil sur la liberté, la diversité. C’est très artisanal notre approche du théâtre, notamment du fait que les éclairages sont dépendant de la biologie. Chaque jour, c’est un peu différent. C’est aléatoire. Il a fallu du temps pour fixer tout cela. Par ailleurs, j’avais envie que Hiam soit accompagnée sur scène par un chateur occitan. C’était important car Simone Veil était très proche de la culture des cathares.
Pourquoi avez-vous envie de faire entendre la pensée de Simone Veil ?
Jean Baptiste Sastre : dans le contexte actuel, avec le procès de France Telecom, il nous semble important de remettre cette parole au centre d’un débat. Et notamment, le pacte de ces philosophes qui dit qu’un seul être meurt et tout est sacrifié, le pacte social est sacrifié. C’est la base du spectacle, c’est ce qu’évoque Simone Weil, je ne suis pas dans l’anticapitalisme primaire, mais c’est terrible ce qui se passe à France Télécom et Gilets Jaunes, par exemple. Simone Veil s’est intéressée au marxisme. Elle s’est aussi intéressée à son rapport avec l’église, le christianisme. Tout ce qui se passe actuellement transparait dans son texte. Les peuples se soulèvent partout, car ils n’en peuvent plus d’être pressurisé.
Hiam Abbass: Je peux mieux parler de Bernanos et de Veil. Quand on parle avec les gens dehors, on a l’impression qu’ils tentent juste de révéler la douleur subie, la misère de leur quotidien. Mais, j’ai aussi envie de croire que derrière tout cela il y a un espoir, une espérance, une envie de s’ouvrir sur le monde, sur les autres. L’important, je crois dans notre démarche artistique, c’est d’essayer de réveiller quelques consciences.
Comment avez-vous abordé un tel personnage ?
Hiam Abbass: Il n’y a pas d’interprétation, je ne suis pas dans l’imitation. A un moment, je vais m’abandonner. Mon corps, ma pensée, mes mimiques théâtrales, mes habitudes, je vais les laisser de côté pour pouvoir juste dire ce texte. Il se suffit à lui-même. Il touche aux tripes. J’avoue, j’ai une relation très particulière avec les mots de Simone Weil. Ils ont une forte résonnance en moi. Le mariage entre mon jeu et elle, va apparaître d’une manière que je ne peux pas prévoir, ni calculer. Ce n’est pas un cadre fermé. Je me jette dans le vide, chaque jour c’est différent. Cela dépend aussi du public.
Jean-Baptiste Sastre : je pense surtout qu’il est nécessaire, presque vital de lire et relire Simone Weil aujourd’hui. J’insiste vraiment. C’est une question de civisme.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore & Marie Gicquel
Plaidoyer pour une civilisation nouvelle d’après Simone Veil
Festival d’Avignon le OFF
Théâtre des Halles
Rue du roi René
84000 Avignon
Jusqu’au 28 juillet 2019 à 11H
Metteur en scène de Jean-Baptiste Sastre
Avec Hiam Abbass
Régie lumière de Shadé Mano