Avec simplicité, sobriété et ingéniosité, Anne Barbot adapte à la scène la première grande œuvre de Fiodor Dostoïevski et fait résonner haut et fort les destins sacrifiés des Humiliés et offensés d’hier, d’aujourd’hui et de demain.
Une grande table, quelques chaises éparpillées sur le grand plateau çà et là, des emballages cadeaux en fond de scène, servent d’unique décor à ce drame humain, à ce récit très autobiographie du jeune auteur russe encore mal connu quand il l’écrit en 1861. Alors que le public entre dans la salle très climatisée, un homme (épatant Benoït Dallongeville) et une femme (délicate Anne Bardot) haranguent les nouveaux arrivés. Ils les guident tout en se présentant. Ils attendent que les portes se ferment, que toutes ces personnes venues célébrer leur amour soient là.
Tout semble aller pour le mieux. Natacha et Ivan sont heureux. Leur destin est tout tracé. Mais la belle ne peut résister aux charmes du fils du prince pour qui travaille son père. Une passion folle s’empare d’elle. Elle offre sa vie, son âme à Alliocha (ténébreux Jérémy Torrès). Elle abîme sa jeunesse, sa beauté pour un homme qui certes tient à elle mais n’est jamais à ses côtés. Elle quitte les siens et s’enfonce chaque jour un peu plus dans la précarité. Sacrifiée sur l’autel de l’argent, elle se meurt lentement, inexorablement. Seul le fidèle Ivan, amoureux transi, assiste à sa déchéance et tente en vain de la sauver.
Adaptée à sa création en quatre parcours de vie, la version proposée à Avignon, se concentre tout particulièrement sur deux destins, celui de la trop sensible Natacha et celui du cynique prince (remarquable Philippe Risler). En quête d’absolu, l’une cherche l’amour parfait, l’autre la fortune et la gloire, chacun sera déçu, incapable d’aller au bout de son chemin, de réaliser son rêve.
Avec beaucoup de finesse, Anne Barbot s’empare de cette fresque intime où des âmes exaltées se fracassent cruellement, brutalement, contre un monde en perdition où la médiocrité l’emporte sur les rêves de chacun. Modernisant avec justesse le texte ciselé de Dostoïevski et faisant voler en mille éclats le quatrième mur, elle signe un spectacle radical, lapidaire qui oblige le public à questionner nos sociétés contemporaines qui ne laissent place à aucune fantaisie, à aucune liberté. Tout est contraint par des codes, des règles, des obligations.
Porté par des comédiens virtuoses au jeu naturaliste, Humiliés et offensés estun moment de théâtre délicat que vient souligner la voix chaude et la présence singulière de la chanteuse Anne-Lise Briot. Poignant !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – envoyé Spécial à Avignon
Humiliés et offensés de Fiodor Dostoïevski
Festival d’Avignon le OFF
Théâtre des Lucioles
10, rempart Saint Lazare
84000 – Avignon
Jusqu’au 28 juillet 2019 à 13h43 (relaches les 9, 16 et 23 juillet 2019)
Durée 1h35
Mise en scène d’Anne Barbot
avec Anne Barbot, Anne-Lise Briot, Benoït Dallongeville, Philippe Risler, Jérémy Torres
Traduction d’André Markowicz
Musique d’Anne-Lise Briot
Régie de Jérôme Bertin