Reprenant l’un des intermèdes textuels qui servaient de respiration à son dernier spectacle-fleuve, Joueurs, Mao II et Les Noms, créé l’an passé au festival d’Avignon, Julien Gosselin puise une nouvelle fois dans la langue de DeLillo et imagine un spectacle, une confession intime, vibrante sur le monde capitaliste et ses dérives. Portée par l’excellent Joseph Drouet, cette profession de foi d’un « requin » de la finance repenti est une plongée en apnée au cœur de la solitude.
Un immense écran immaculé surplombe une scène, elle aussi blanche. Une chaise, un micro et quelques néons rouges servent d’unique décor. Au cœur du théâtre de l’Agora, en plein air, les spectateurs attendent, impatients, de découvrir la dernière création de Julien Gosselin. Côté cour, en costume,Joseph Drouetapparaît. Visage fermé, démarche raide, il semble tout droit sorti du dernier opus du metteur en scène prodige, habitué des adaptations littéraires monstres.
Ce n’est pas qu’une impression. Le comédien reprend ici une des partitions passées presque inaperçues de Joueurs, Mao II et Les Noms. Afin d’offrir au public des moments de détente tout au long des quelques dix heures que duraient les représentations de ce spectacle, véritable odyssée scénique au cœur de l’œuvre de l’auteur américain Don DeLillo, Julien Gosselin avait imaginé non des entractes, mais bien des performances d’acteurs. Que ce soit sous forme de Karaoké, de textes livrés façon lectures morcelées, ou de longues réflexions susurrées.
Marqué par le texte du Marteau et de la Faucille, découvert dans les colonnes de Libération, où il avait été intégralement publié en 2010, le metteur en scène de 32 ans s’est pris de passion pour la prose de l’écrivain américain. C’est de cette nouvelle, de ce concentré de DeLillo que lui est venu l’idée de faire entendre ces histoires de terrorismes, de capitalisme, de politique du profit. C’est donc tout naturellement qu’il reprend en une seule fois, cette confession intime d’un ancien trader en quête de rédemption.
Du fin fond de son camp de détention, assis sur une chaise, face caméra, Joseph Drouet alias Jerold Bradway, fils d’un spéculateur qui achetait et revendait des entreprises, pour le jeu, pour l’argent, pour le fun, conte son histoire. Elle est banale autant que terrible. Elle est significative d’une époque, d’un monde, de la mondialisation, du capitalisme à tout crin. Utilisant la vidéo et la musique techno du duo Guillaume Bachelé et Maxence Vandevelde, dont le volume sonore augmente crescendo, comme des outils venant souligner le jeu de l’acteur, Julien Gosselin donne à ce récit une force surdimensionnée, un impact visuel et audio particulièrement envahissant, obsédant.
Ferré, hypnotisé par les tiques piques, de plus en plus présentes, de plus en plus vigoureuses du comédien, par sa voix qui se démultiplie pour donner la parole à d’autres protagonistes de l’histoire, le public se laisse emporter par le flot incessant des mots. Un seul-en-scène brillant qui interroge l’état du monde autant financièrement qu’écologiquement. Bravo !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – envoyé spécial à Montpellier
Le marteau et la faucille de Don DeLillo
Printemps des comédiens
Agora – Montpellier Danse
18 rue Saint-Ursule
34000 Montpellier
durée 1h00
Traduction de Marianne Véron
Adaptation et mise en scène de Julien Gosselin
Avec Joseph Drouet
Scénographie d’Hubert Colas
Création musicale de Guillaume Bachelé et Maxence Vandevelde
Création lumières de Nicolas Joubert
Création vidéo de Pierre Martin
Création sonore de Julien Feryn
Costumes de Caroline Tavernier
Texte publié aux Editions Actes Sud
Crédit Photo © Simon Gosselin