Vingt ans après sa création à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, perturbée par des grèves particulièrement importantes, qui avaient entrainé l’annulation de nombreuses représentations, Georges Lavaudant, metteur en scène courage, remonte L’Orestie d’Eschyle. Au cœur de l’antique Odéon de Fourvière, bravant les éléments qui ont amputé la première de moitié, il fait gronder les mots du dramaturge grec qui annonce la naissance de l’homme « moderne », de la démocratie.
Au loin, les lueurs de la Lugdunum moderne scintillent à l’horizon. Les musiques pop, rap, résonnent étrangement anachroniques, dans le silence de la nuit qui s’installe doucement. Une grue décorée d’une guirlande lumineuse rouge, des spots multicolores, le crayon, symbole de la ville, rappellent qu’à deux pas du théâtre antique, où les spectateurs s’installent, une vie grouille, contemporaine. Qui des quidams passant au pied de Notre-Dame, des jeunes gens profitant, à la terrasse d’un café en contre bas de la colline, de la soirée presque estivale, peut imaginer que dans quelques minutes, la tragédie fondatrice de nos sociétés occidentales va se jouer dans les ruines de cet édifice gaulois destiné aux concours de chant ? Personne.
Dans un souffle de vent frais, les conversations se terminent. Le début des hostilités, celles qui mènent les Atrides, à marche forcée vers la ruine sanglante et salvatrice de leur maison. On est à Argos, au cœur du Péloponnèse. Après dix ans de guerre contre Troie, Le roi Agamemnon (affable Carlo Brandt) revient triomphant, auréolé de gloire.
La félicité est de courte durée. Il meurt le soir même sous les coups redoublés, violents de sa chère épouse Clytemnestre (hiératique, impériale Anne Alvaro). Mère enragée, furie exaltée, elle venge la mort de sa fille Iphigénie sacrifiée sans vergogne aux dieux. Œil pour œil, crime pour crime, c’est dans la suite logique de la tragédie de cette noble famille, depuis qu’Atrée, le patriarche, a offert à son frère Thyeste sa progéniture, en repas de réconciliation.
Oreste (emphatique Pascal Rénéric), dernier de la lignée, soutenue par sa sœur Electre (dramatique Mélodie Richard), entre dans la danse macabre et commet l’irréparable, l’assassinat de cette mère meurtrière au nom de l’illustre père. Cercle infernal, homicide sordide, il est temps d’arrêter le massacre, d’établir des lois, des règles qui vont régir le bon fonctionnement de la société.
Sous le regard d’Athéna (Astrid Bas), déesse de la sagesse tout droit sortie d’un manga, et de son demi-frère, le « so drag queen » Apollon (Matthieu Marie), le procès du matricide, geste odieux qui le voue lui aussi à la peine capitale, sert de terreau à nos démocraties modernes. En l’absolvant de ses crimes, le cycle est rompu, les dieux n’ont plus à intervenir, le tribunal terrestre des hommes a tranché. Il en sera ainsi tout le temps, désormais.
Malgré les éléments déchainés qui ont entraîné la fin prématurée de la représentation du mercredi 5 juin 2019, les mouvements sociaux qui avaient entachés sa création à l’Odéon-théâtre de l’Europe en 1999, Georges Lavaudant, vent debout, livre une version antique, burlesque de cette tragédie grecque, de ce monument du répertoire aux origines du théâtre. Sur une scène dépouillée, où trône un immense bloc de faux marbre qui, scindé en deux partie en son centre, sert de porte d’entrée du palais d’Argos, les atrides se déchirent sans répit. Le sang gicle. La mort rode devant le peuple (le public) atterré par l’horreur fantasmagorique de cette mise en scène burlesque.
Histoire dramatique, intime d’une famille mythique qui se répercute sur le quotidien des mortels, L’Orestie version Lavaudant fourmille d’idées, d’effets qui n’arrivent pas vraiment à s’installer, certainement en raison particulièrement du jeu en extérieur et d’une première avortée. Si la magie n’opère pas complétement, on ne peut que saluer le travail au cordeau des comédiens et d’un metteur en scène dont l’espièglerie de ton, l’esprit cocasse, flirtant délicieusement avec un kitsch assumé, font tout de même le show.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Lyon
L’Orestie d’après Eschyle
Les nuits de Fourvière
Odéon
Rue de l’Antiquaille
69005 Lyon
Jusqu’au 8 juin 2019
Durée : 2h30 (sans entracte)
Mise en scène, adaptation et lumière de Georges Lavaudant assisté de Fani Carenco
Dramaturgie de Daniel Loayza
Décor et costumes de Jean-Pierre Vergier assisté de Géraldine Ingremeau
Son de Jean-Louis Imbert
Vidéo de Benjamin Furbacco
Maquillage, coiffure, perruques de Sylvie Cailler et Jocelyne Milazzo
Chorégraphie de Francis Viet
Maquillage de Marie Luiset
Coiffure-perruques de Jérôme Ventura
Avec Anne AlvaroAstrid Bas, Cassandre, Athena, Carlo Brandt, François Caron, Camille Cobbi, Babacar Mbaye Fall, Bastien Lombardo , Laurent Manzoni, Le Coryphée et une Érinye , Matthieu Marie, Pascal Rénéric, Mélodie Richard, Irina Solano
Crédit photos © Laurent Bourdrel