À la Scala Paris, l’épatante Pauline Bayle, « révélation théâtrale » 2018 du Syndicat professionnel de la Critique, reprend son diptyque homérique. Avec peu, juste le jeu ciselé de ses comédiens et l’imaginaire aiguillonné, enflammé des spectateurs, elle signe une fresque épique qui touche au cœur, à l’âme. Un grand moment de théâtre.
Dans l’étroite entrée de la Scala Paris, le public se masse en nombre. La température monte, l’air devient presque suffocant rappelant l’atmosphère sèche, aride, des plaines du Péloponnèse. Les programmes servent d’éventail. Une voix grave tonne. C’est celle d’Agamemnon (remarquable Soufian Khalil) qui exhorte Achille (épatante Nadja Bourgeois) à (re)prendre les armes à ses côtés malgré leurs différends. Fier, imbu de son rang, n’est il pas le meilleur des Grecs, le héros, sa bile est chauffée à blanc, il refuse. L’offense est trop grande. La belle esclave, volée par le roi de Mycènes, était sa promise. Rien n’y fait, ni la longue liste de seigneurs venus prêter main-forte au cocu Ménélas, dont la femme Hélène s’est enfuie avec le beau et pleutre Pâris, prince troyen, ni l’intervention du sage Ulysse. Il suivra de loin ce combat barbare sans intervenir, souhaitant au plus profond de son cœur la perte de ce monarque tyrannique et irrespectueux.
Il est temps de quitter la Grèce (le foyer du théâtre), direction les côtes de l’Asie Mineure (la salle). Fébriles, Priam (étonnante Marion Chircen), et son peuple se préparent à accueillir les enragés envahisseurs. Ils en appellent aux dieux. Joueurs, versatiles, ses derniers changent de camp au gré des querelles maritales entre Zeus, coureur de jupon invétéré et sa femme Héra (impayable Loïc Renard), mégère jalouse. Loin de l’Olympe, en attendant sur terre, les morts s’amoncellent, le sang coule à flots. L’issue de cette guerre est incertaine. Les héros tombent les uns après les autres, leurs noms s’égrènent à l’infini, jusqu’à la mort de Patrocle, forçant Achille, son amant, à entrer dans la funeste danse. Œil pour œil, la furie meurtrière s’achève quand repu le héros grec, demi-dieu, tue dans un dernier carnage, Hector (extraordinaire Mathilde Mery), l’enfant chéri de Troie.
La Langue contemporaine respectueuse de l’œuvre originelle, le texte au cordeau, le poème du dramaturge grec, auteur des premières œuvres connues de la littérature occidentale, chantent à l’oreille, impriment des images belles, sensibles, saisissantes. Avec peu de moyens, un papier Kraft au sol devient un champ de bataille, des chaises un rempart de bois protégeant le camp de fortune grec, des paillettes ,une armure, Pauline Bayle donne vit cette épopée guerrière, lui insuffle une force poétique, onirique tellement actuelle. Faisant fi du genre, comédiens jouant les déesses, comédiennes, les héros, la jeune et brillante metteuse en scène nous entraîne dans un tourbillon homérique étourdissant, captivant.
Amour, haine, gloire, combat épique, la troupe virtuose (nouvelle distribution) invite au cœur haletant, palpitant de la tragédie, entraînant le public sans jamais le lâcher dans les eaux troubles de la vengeance, des dettes d’honneur et d’antiquité magnifiée par le « Poète ». Sans hésiter, courez (re)découvrir ce spectacle monstre signé Pauline Bayle et laissez-vous tenter par son Odyssée, ce long voyage jusqu’à Ithaque où vous serez séduits par la belle Circé, vous croiserez la sage Pénélope… Exotisme, aventures extraordinaires garanties.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Iliade d’après Homère
La Scala Paris
13, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Jusqu’au 2 juin 2019
du mardi au samedi à 18h30 et les dimanches à 15 heures.
Durée 1h25
mise en scène, adaptation et scénographie de Pauline Bayle
Avec Manon Chircen, Soufian Khalil, Viktoria Kozlova (en alternance avec Nadja Bourgeois les 25 et 26 mai), Mathilde Mery et Loïc Renard
Crédit photos © Blandine Soulage