Au Poche-Montparnasse, Jean-Louis Benoit adapte avec une virtuosité burlesque deux farces en un acte de Tchekhov, Une demande en mariage et L’ours. Porté par trois comédiens de génie, Jean Paul Farré, Émeline Bayart et Manuel Le Lièvre, ce diptyque haut en couleur est à mourir de rire.
Dans un décor unique signé Jean Haas, rappelant quelques douillettes datchas, les couples se font, les natures sanguines, emportées, se révèlent. Ton enlevé, écriture fine, drôle, acerbe, Anton Tchekhov manie le vaudeville avec maestria. Il plonge avec délice dans les affres de l’amour, pimentés par les querelles de clocher, et les comportements colériques. Soulignant les situations farcesques, ubuesques à coup de pantomimes hilarantes, de jeux surlignés avec ingéniosité, Jean-Louis Benoit donne à ces deux courtes pièces du dramaturge russe toute leur force comique, leur férocité drolatique.
Dans Une demande en Mariage, Lomov (Manuel Le Lièvre), un propriétaire terrien de 35 ans passés, un peu gauche, décide de franchir le pas et de convoler en justes noces, plus par raison que par passion, avec Natalia (Émeline Bayart), la fille de son voisin Tchouboukov (Jean-Paul Farré). Entre les deux familles, malgré une entente cordiale, un contentieux, un litige, va réveiller les veilles rancœurs et déclencher cris perçants, colères hystériques et injures en cascade. Le palpitant défaillant, le prétendant est à deux doigts de la crise cardiaque. Rêvant de quitter, enfin son statut de vieille fille, la fiancée défaille à l’idée de perdre son unique chance de devenir femme. Les deux tourtereaux, trouveront-ils le bonheur malgré leur orgueil, leur mauvaise foi, leur sang échaudé ?
Un court intermède, un noir, quelques éléments de décors évacués et le spectateur est convié à partager la retraite de la veuve Elena Ivanovna Popova. Encore jeune, follement amoureuse de son époux mort depuis 7 mois, elle décide de vivre en recluse, de lui être fidèle jusqu’à la mort. Une situation qui a le don d’énerver son valet Louka, qui ne comprend pas une telle dévotion à un homme sans honneur, qui a dilapidé tout l’argent de sa maîtresse tout en la faisant cocue. Rien n’y fait, rien ne peut troubler cette paisible existence loin du monde. L’arrivée d’un créancier exigeant, un brin furieux et quelque peu rustre et sexiste, va tout changer. Ravivant son caractère bien trempé, la débitrice pousse le misogyne patenté, l’homme ours, dans ses retranchements allant jusqu’à le provoquer en duel. Troublé, ébloui, il tombe fou d’amour pour cette furie en jupon.
Passant du rire aux larmes, des pantomimes les plus outrancières aux drames, des hurlements aux mots justes chuchotés, ce diptyque monté avec beaucoup de finesse et ce qu’il faut d’extravagance par Jean-Louis Benoit est une montagne russe émotionnelle, un morceau de bravoure tragicomique des plus savoureux. Si l’adaptation est aussi réussie, permettant de redécouvrir le potentiel drolatique des œuvres de Tchekhov, c’est aussi par la réunion sur scène de trois artistes extraordinaires. Faisant mouche à chaque réplique, le trio virtuose fait chavirer les cœurs et déride les zygomatiques plus d’une heure durant. Manuel Le Lièvre est formidable en serviteur couard, en têtu maladif. Jean-Paul Farré est fabuleux en butor grossier, en père dépassé par les opiniâtretés rageuses de sa fille bien-aimée. Enfin, Émeline Bayart, nominée en révélation féminine aux Molières pour son épatante prestation dans Fric-Frac, est comme toujours divine. Mimiques impayables, jeu au cordeau, elle brûle une nouvelle fois les planches pour le plus grand plaisir d’un public enjoué, hilare. N’hésitez pas, courrez, voir cette pépite d’humour, ce vaudeville slave déjanté.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Tchekhov à la folie d’après Une demande en mariage et L’ours d’Anton Tchekhov
Théâtre du Poche-Montparnasse
Jusqu’au 14 juillet 2019
Du mardi au samedi à 19h & le dimanche à 17h30
Durée 1h20
Mise en en scène de Jean-Louis Benoit assisté d’Anthony Cochin
Avec Émeline Bayart, Jean-Paul Farré et Manuel Le Lièvre
Décor de Jean Haas
Costumes de Frédéric Olivier
crédit photos © Vincent Tonelli