Couv_Bnett Walsa_vitry_© Laurent Philippe LPH2867002_@loeildoliv

Musulmane(s), de l’enfermement mental à la liberté

Pour clôturer en beauté les Transversales du théâtre Jean Vilar de Vitry sur Seine, Héla Fattoumi et Éric Lamoureux questionne la place de la femme musulmane dans le monde.

Au Théâtre Jean-Vilar de Vitry-sur-Seine, le 18 avril dernier, les chorégraphes Héla Fattoumi et Éric Lamoureux ont clôturé la quatrième édition du festival des arts mélangés de Méditerranée, Les Transversales, par deux pièces chorégraphiques questionnant la place des femmes dans les sociétés arabes. Véritables cris dansés contre les violences psychiques et sexistes, Manta et Bnett Waslaréveillent les consciences et touchent en plein cœur. 

Depuis 2016, le Théâtre Jean-Vilar, sous l’impulsion de Nathalie Huerta, ne cesse de créer des ponts et de mettre en place des échanges artistiques entre les deux rives de la Méditerranée. S’inscrivant dans la politique coopérative initiée par son prédécesseur Gérard Astier, dont elle était l’adjointe, l’enthousiaste directrice ne cesse de vouloir renforcer les liens entre les peuples baignés par la même mer. Avec Les Transversales, elle offre à des auteurs, des chorégraphes, des musiciens et des metteurs en scène la possibilité de s’exprimer, de rendre plus visibles la multiplicité des écritures, des styles. Toujours engagés, les spectacles de cette quatrième édition ont eu pour thématique « la lutte contre l’oppression, les carcans et tout ce qui enferme. »

MANTA_vitry_© L. PHILIPPE_@loeildoliv

Logiquement, pour clôturer cet événement riche en émotion, Nathalie Hurta a proposé à Héla Fattoumi d’investir la scène. Reprenant son solo Manta, co-écrit avec son complice Eric Lamoureux et créé en 2009, la danseuse-chorégraphe d’origine tunisienne, explore, fort de son vécu et de celui de ses proches, les contraintes imposées à un corps nié, entièrement caché sous un niquab. Gonflée des polémiques médiatiques autour du port de ce voile intégral masquant aussi le visage, elle questionne le rôle de la femme dans une société dominée par la lubricité des hommes, sa place dans un monde où elle n’est que tentation, être à féconder, mère en devenir. 

S’appuyant sur des images chocs, des archives vidéos d’une intimité familiale, des tutoriels qui expliquent comment bien se maquiller sous son hijab, les sourates du coran, Héla Fattoumi et Eric Lamoureux esquissent le portrait d’un corps féminin à l’asphyxie qui ne demande qu’à se libérer de ses chaînes, de ses carcans religieux, de ses lois ancestrales qui soumettent un sexe à l’autre. Gestes lents, mouvements au ralenti tentant de se caler sur les rythmes d’une musique orientale, envoûtante, la danseuse entièrement dissimulée sousun voile lourd de couleur crème, est prête à toutes les folies, les exubérances pour se délivrer de la chape de plomb qui l’oppresse. Long est le chemin pour comprendre ce qu’est le niqab, d’où il tire son existence, ce qu’il représente pour les femmes musulmanes. 

Sublimée par des tableaux d’une rare beauté, d’une force vibrante, la performance lancinante saisit le regard des spectateurs médusés, qui sans jugement préconçu, s’interroge sur le ressenti de cet être entravé, caché. Dans un dernier sursaut salvateur, Héla Fattoumi se réapproprie son corps affranchi et sur le titre emblématique de James BrownIt’s a Man’s Man’s Man’s World, se déhanche en égrenant le nom des femmes célèbres et engagées. 

Suite à ce solo captivant, surprenant qui prend au cœur instantanément, ou qui agit comme une bombe à retardement, un plus tard, le temps d’appréhender sa force politique, sa violence pacifiste, les deux chorégraphes revisitent Wasla, une autre œuvre de leur répertoire datant de 1999 qu’ils recréent cette fois pour quatre danseuses du Jeune Ballet national tunisien. Plus dansée, plus enlevée, cette pièce chorégraphie aborde différemment le corps de la femme et sa place dans un monde patriarcal. D’abord contrainte dans une alcôve de pierres ocres, chacune des interprètes tente l’une après l’autre d’apprivoiser son espace vital, avant de s’en extraire, de s’adapter à un nouvel environnement où peuvent s’épanouir leur féminité, leur sensualité. Un moment hors du temps, délicat, poignant, une belle déclaration d’amour pour permettre à toutes de s’assumer dans leur chair. 

Portant haut l’engagement de Nathalie Huerta, Les Transversales 2019 se concluent sur un message vibrant, humain, un manifeste féministe qui ne cache rien de la dureté des combats dans le monde entier pour lutter contre un sexisme toujours aussi prégnant. 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


Les transversales
Théâtre Jean-Vilar
Place Jean vilar
Vitry sur Seine
Jusqu’au 18 avril 2019

Manta d’Héla Fattoumi et Éric Lamoureux 
Avec Héla Fattoumi 
création sonore et vidéo d’Éric Lamoureux 
costumes et tissus de Maryline Lafay 
scénographie de Stéphane Pauvret 
création lumières de Xavier Lazarini 
constructions décors de Jackie Baux  

Bnett Wasla d’Héla Fattoumi et d’Éric Lamoureux 
Avec Oumaima Manai, Cyrinne Douss, Nour Mzoughi et Houda Riahi 
musique d’Éric Lamoureux 

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