Après avoir transformé La nuit, le chien et le couteau de Marius von Mayenburg en un conte noir, burlesque, le Munstrum théâtre s’attaque avec gourmandise et fièvre à deux œuvres de Copi, L’homosexuel ou la difficulté de s’exprimer et Les quatre jumelles. Plus que jamais, Louis Arene et Lionel Lingelser laissent aller leurs imaginations débordantes et décalées pour offrir un spectacle granguignolesque et absurde au-delà de toute limite, de toute outrance. Extravagant coup de cœur !
Dans l’église rennaise du Vieux Saint-Etienne transformée en théâtre, les doudounes sont de rigueur. En cette fin après-midi d’avril, on frôle Les 40° sous zéro promis par le titre du spectacle. Enroulés dans des couvertures, les spectateurs s’apprêtent à affronter les vents glacés de Sibérie. Tout le monde est prêt. Top départ, le voyage vers les contrées hostiles et gelées où sont déportés les transsexuels selon Copi, ainsi que ses Quatre jumelles peut commencer. Alors que les premières notes de musique résonnent sous les voûtes de la nef, que la lumière tamise l’espace, une immense silhouette se détache sur scène. Affublée d’un bien étonnant et démesuré couvre-chef fait semble-t-il d’un assemblage de boules de noël dorées, l’étrange créature (captivant François Praud) entonne de sa belle voix douce, un remix suave, presque méconnaissable, de Girls just wanna have fun de Cindy Lauper.
Le ton est donné. Loin de toute réalité, de toute vraisemblance, le Munstrum théâtre et ses joyeux drilles entraînent le public médusé dans un univers burlesque, déjanté, où démesure et folie se conjuguent avec une ambiance granguignolesque assumée, revendiquée. S’emparant des textes de Copi comme d’une friandise acidulée, douce-amère et quelque peu épicée, Louis Arene et Lionel Lingelser transcendent l’esprit subversif et revendicatif du dramaturge argentin pour en dépasser les limites très ancrées dans les années 70 et le militantisme gay. Convoquant tous les artifices du théâtre, ils nous invitent à des bacchanales outrancières, extravagantes et tellement « over kitsch » qu’entre rire, exaltation et stupéfaction, le public incrédule, séduit, en redemande toujours plus. Il ne sera pas déçu. Sans aucune limite, ces Copi revisités où les instincts les plus bestiaux, les plus sanguinaires, côtoient la pureté, certes pas virginale, mais naïve de créatures en fleur, passionnées, aliénées, plongent avec délice et jubilation au cœur d’une humanité surréaliste et furieuse revendiquant son désir de vivre, d’affirmer ses différences.
Derrière les masques, conçus par Louis Arene, les costumes délirants signés Christian Lacroix et les perruques imaginées par Véronique Soulier-Nguyen – formidable bestiaire d’êtres déformés, défigurés, opérés – , c’est un show fou bien au-delà du genre et du sexe qui se dévoile devant les yeux des spectateurs tous ébaudis. C’est toute l’excentricité de Copi, l’essence même de son œuvre, qui est exacerbée par cette mise en scène qui se joue des sens et des contrastes, qui n’a pas peur du ridicule, qui force le trait, qui sublime le trash et se sert des corps des comédiens comme d’une matière scénique fascinante, modulable à l’envi. Enfermant ses personnages dans des lieux sinistres, des territoires particulièrement inhospitaliers, il les pousse vers une folie salvatrice, mortelle, une liberté toute relative conquise de haute lutte avec les pires démons, eux-mêmes.
Vulgaires, crus, les mots fusent avec vivacité, énergie, ne laissant aucun répit aux 7 artistes qui se succèdent sur scène. De Sophie Botte à Delphine Cottu, d’Olivia Dalric à Alexandre Éthève, en passant par Lionel Lingelser et François Praud, sans oublier bien évidemment Louis Arene, tous extraordinaires, ils donnent chair, corps et sang à l’univers pourri jusqu’à la moelle dépeint par Copi. Entremêlant tous les genres et les registres du théâtre, revisitant quelques tubes, tel Le paradis blanc de Michel Berger, faisant gicler une hémoglobine rouge fluo à tout-va, le Munstrum théâtre fait une nouvelle fois mouche. Allant toujours plus loin dans leur quête du fantasmagorique, de l’étrange, du cauchemardesque, pour le plus grand plaisir d’un public malmené parfois, mais souvent halluciné, Lionel Lingelser et Louis Arene ne se refusent rien, crient haut et fort leur désir viscéral de vivre autrement, bien au-delà d’une normalité insipide, triste. Après une scène finale de toute beauté, c’est toute une salle qui se lève à l’unisson applaudissant à tout rompre la géniale singularité d’une troupe « shootée » à l’adrénaline. Totalement disjoncté !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore -Envoyé spécial à Rennes
40° sous zéro, d’après L’homosexuel ou la difficulté de s’exprimer & les quatre jumelles de Copi
Conception le Munstrum théâtre (Louis Arene et Lionel Lingelser)
Théâtre du Rond-Point
2 bis avenue Franklin D. Roosevelt
75008 Paris.
Du 11 au 27 janvier 2024.
Durée 1h45.
Créé le 5 mars 2019 à La Filature, Mulhouse.
Festival Mythos
Théâtre du Vieux Saint-Etienne
Rennes
Festival d’Avignon le Off
La manufacture patinoire
du 5 au 26 juillet 2019
à 21h10
au Monfort Théâtre Paris du 20 au 30 novembre 2019.
à Châteauvallon – Scène nationale du 30 janvier au le 1er février 2020.
Mise en scène de Louis Arene assisté de Maëliss le Bricon et Mo Dumond en stage
Avec Louis Arene, Sophie Botte, Delphine Cottu, Olivia Dalric, Alexandre Éthève, Lionel Lingelser, François Praud
Dramaturgie de Kevin Keiss
Création costumes de Christian Lacroix assisté de Jean-Philippe Pons et Karelle Durand
Scénographie et masques de Louis Arene
Création lumières de François Menou
Création sonore de Jean Thévenin
Création coiffes-maquillages de Véronique Soulier-Nguyen
Effets spéciaux de Julien Antuori
Regard chorégraphique Yotam Peled
Assistant scénographie / régie générale Valentin Paul
Régie lumière de Julien Cocquet
Régie son de Ludo Enderlen
Chef d’atelier costumes Lucie Lecarpentier
Costumières Tiphanie Arnaudeau, Hélène Boisgontier, Castille Schwartz
Stagiaires costumes Marnie Langlois, Iris Deve
Crédit photos © François Parue & ©Maeliss Le Bricon
Exta ou Ecsta ?????????
en effet, certes extasy est toléré mais ecstacy est la bonne orthographe