Sociétaire de la Comédie-Française depuis le 1er janvier 2018 et cofondateur de la Compagnie des Petits-champs, Clément Hervieu-Léger aime autant fouler les planches, que mettre en scène. Alors que le rideau rouge de l’Odéon-Théâtre de l’Europe vient de se refermer sur son Pays Lointain, il rêve déjà à sa prochaine création : Un des derniers soirs de Carnaval de Goldoni. Retour sur expérience.
Mince, très droit Clément Hervieu-Léger a gardé de ses années d’apprentissage de danse classique, un maintien élégant, une aisance naturelle, une réserve. D’origine normande, l’enfant prodige a grandi à Paris dans une famille de mélomanes. Sa grand-mère, une ancienne professeure de lettres, lui donne le goût des textes, des auteurs, l’emmène au théâtre, lui fait découvrir les grands classiques. Suivant les pas de sa mère qui en parallèle de Science-Po, s’inscrit à l’école dramatique du Théâtre National Populaire (TNP) de Villeurbanne, le jeune homme fait rapidement ses armes en tant que comédien. Les rencontres, l’intensité de son jeu, lui ouvre en 2005 les portes de la Comédie-Française. Pensionnaire puis sociétaire depuis un peu plus d’un an, il y fait ses armes en 2011 en tant que metteur en scène avec une adaptation de La Critique de l’École des femmes de Molière. En parallèle, afin de monter ses propres projets, il crée sa propre structure la Compagnie des petits Champs, avec son complice de longue date Daniel San Pedro. Après Cavalli, Marivaux et Molière, il s’attaque au Pays Lointainde Jean-Luc Lagarce, qui vient tout juste de terminer sa belle tournée à l’Odéon-Théâtre de l’Europe. Entre deux répétitions, mille projets et les cours de dramaturgie qu’il donne à l’Ecole de l’Opéra de Paris, le jeune quarantenaire revient, le temps d’un café, sur les motivations qui l’ont poussé à monter sur les planches, ainsi que sur cette incroyable expérience chorale de monter la pièce testamentaire du dramaturge français mort du sida en 1995.
Qu’est ce qui vous a donné envie de faire du théâtre ?
Clément Hervieu-Léger : Quand j’étais petit, je dansais tout le temps. Dès que mes parents écoutaient de la musique, je prenais un grand plaisir à me mouvoir, à inventer des enchaînements de mouvements, de gestes. J’ai donc logiquement demandé à prendre des cours au conservatoire du 15e arrondissement, non loin de là où on habitait. J’étais très assidu. Mais au moment de passer le concours pour entrer à l’Ecole de l’Opéra de Paris, j’ai renoncé contrairement à mon ami d’enfance, Karl Paquette, devenu depuis danseur étoile. Je ne voulais pas être pensionnaire. L’envie est passée d’autant plus facilement qu’au Lycée Buffon, où je suivais ma scolarité, le metteur en scène Jean-Pierre Hané animait des cours de théâtre. Je ne me suis jamais dit que je voulais être comédien, mais le désir de monter sur les planches était ancré en moi. Alors quand il a monté Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos au Théo Théâtre et qu’il m’a proposé le rôle de Danceny, je ne me suis pas trop fait prier. Ensuite, tout s’est enchaîné très vite. J’ai rapidement eu un agent. Ma physionomie juvénile a été un atout. Tout en suivant des cours à Science-Po comme ma mère, je tournais dans plusieurs téléfilms, je répétais et jouais des spectacles. Mais c’est la rencontre avec Patrice Chéreau en 2003, après une représentation de Phèdre, qui m’a définitivement mis le pied à l’étrier. S’en est suivi 10 ans de collaboration intense et passionnante. En parallèle, Marcel Bozonnetm’a proposé d’entrer au Français, après avoir remplacé au pied levé Mathieu Genet. Hasard de la vie, je devais jouer le jumeau d’Audrey Bonnet.
Qu’est ce qui vous a donné envie de monter cette pièce fleuve de Lagarce ?
Clément Hervieu-Léger : Ce n’est pas aussi simple. Ce fut un long processus. Je dirais que l’aventure a commencé en 2010 alors que je travaillais avec Patrice Chéreau sur Rêve d’automne de Jon Fosse. Invité pour une carte blanche par Henri Loyrette, alors directeur du Louvre, à investir les salles du musée, il a eu l’envie de mettre en scène cette histoire de famille qui se passe dans un cimetière. Son choix de faire incarner par deux comédiens, deux personnages, très présents dans le texte, mais absents normalement de la distribution m’a marqué. Je me suis alors intéressé à ces personnages morts que l’on fait revenir en scène, les spectres comme dans Hamlet, ou dans les tragédies antiques. C’est à ce moment précis que j’ai lu Le Pays lointain. J’ai tout de suite été fasciné par l’une des singularités du texte, la présence du père et de l’amant mort. J’ai été bouleversé d’autant que ce récit est autobiographique et fait suite à l’échec de Juste la fin du monde. Alors qu’on lui demande de remanier la pièce, Jean-Luc Lagarce décide d’en faire son testament en rappelant grâce au théâtre tous ceux qui ont fait sa vie. Il meurt peu de temps après l’avoir finie Remisée dans un coin de ma tête, c’est à la mort de Patrice (Chéreau),que la nécessité, l’urgence de monter cette pièce s’est fait plus prégnante, comme pour exorciser sa perte, son absence. Je crois qu’inconsciemment, cela me permettait de poursuivre un dialogue qui ne s’est jamais vraiment interrompu entre lui et moi depuis le premier jour où je l’ai rencontré. Étonnement, il était plus intéressé par Bernard-Marie Koltès. Plus, j’y pense, plus, je suis persuadé que Lagarce était l’auteur le plus proche de ce qu’était Patrice dans son rapport au théâtre, à la mort, au désir, à l’homosexualité. Ils étaient très différents, mais il y a un fil invisible qui les lie et qui me touche.
L’ombre des années sida plane sur cette œuvre. Est-ce qu’il était important pour vous comme pour Christophe Honoré de vous réapproprier cette période ?
Clément Hervieu-Léger : En effet, cette coïncidence m’a troublé. Contrairement à Christophe, je fais partie de la génération d’après. J’étais trop jeune dans les années 1980, mais quand je suis entré da ma vie amoureuse, sexuelle, le sida était là. Je le savais, je connaissais les conséquences, j’ai dû faire avec. La mort avait déjà frappé. Je ne pouvais pas l’ignorer. À quarante ans, je crois que oui, j’ai eu l’envie, le besoin de me plonger dans cette époque, de la faire revivre, car je me suis construit mon identité, ce que je suis à ce moment-là. Avec 120 BPM, Les idoles ou Le pays lointain, nous sommes plusieurs artistes à avoir le désir de travailler sur cette période. C’est d’ailleurs assez beau que Stéphane Braunschweig ait l’idée de programmer à la suite la pièce de Christophe Honoréet la mienne. C’est, je pense clairement le besoin de lutter contre l’indifférence, l’oubli. Alors qu’on est pétri de cette période sans le savoir, il y a comme une insouciance de mettre dans la lumière cette tragédie que l’on n’a pas connu dans nos vies.
Comment avez-vous appréhendé le texte ?
Clément Hervieu-Léger : J’avoue, je suis pas forcément fou des adaptations que j’ai pu voir des textes de Lagarce. Son écriture me touche, mai je reste assez loin de ce que cela donne sur scène. Il y a quelque chose de formel qui fait que la lupart des metteurs en scène ont tendance à privilégier la forme, au fond. Ils se laissent emporter par la métrique, la cadence de la langue en omettant de lui donner corps. L’ensemble reste froid comme une grand-messe. C’est comme pour les vers il faut savoir dompter la rythmique. Comme disait Chéreau en parlant des vers raciniens, c’est comme une bombe aspirante. Si on ne fait pas attention, on se laisse totalement phagocyter. Je crois qu’il est important de l’habiter. Et C’est le travail majeur du metteur en scène, de donner à tout cela chair et sang. Il ne faut pas oublier que dans Le Pays Lointain, Lagarce parle clairement de désir, de souvenirs sexuels. Son texte, ses personnages ne sont absolument pas désincarnés. Sauf peut-être Louis, qui entame lentement son chemin vers la mort et ne prend vie que grâce aux autres. Il n’existe qu’en fonction d’eux, suite à un baiser, une étreinte. Il m’a donc semblé nécessaire, vital presque, que tous, soient sur scène tout le temps, car Louis est fait de la somme de toutes ses rencontres. C’est ce qui me plaît dans ce texte, dans ce qu’il sous-tend. Utilisant la magnifique métaphore théâtrale de Lagarce, la distribution s’est imposée d’elle-même. J’avais l’envie, le besoin de m’entourer de ma famille choisie, Daniel (San Pedro), Clémence (Boué), Nada (Strancar), Audrey (Bonnet), Guillaume (Ravoire) ou Loïc (Corbery). Mais comme le dit Longue-Date, pour que cette symbiose, cette communauté de cœur ne soit sclérosante, enfermante, il faut aussi faire entrer dans la famille de petits nouveaux. C’est le cas avec Vincent Dissez, Louis Berthélemy, que j’ai repéré au concours du conservatoire, dont j’étais membre du jury, et François Nambot. Au fil des répétitions à Beaumontel, le sentiment d’être une famille a fait jour. Des connivences, des complicités se sont créées, se sont renforcées dépassant largement le cadre de la scène. J’ai beaucoup aimé cela. Lagarce a ce pouvoir, il permet cela. Je ne suis pas de sa génération, mais c’est le propre des grands textes.
Quels sont vos autres projets ?
Clément Hervieu-Léger : Actuellement, je joue dans les Damnés, salle Richelieu, avant de reprendre Le Misanthrope. En parallèle, je travaille aussi sur ma prochaine création, hors les murs du Français, Un des derniers soirs de Carnaval de Goldoni. La première aura lieu le 27 septembre 2019 aout théâtre de Carouge à deux pas de Genève. S’en suivra une belle tournée qui passera notamment par le théâtre des Bouffes du Nord à Paris. C’est une pièce que j’aime beaucoup, car c’est la dernière que le dramaturge écrit avant de quitter Venise pour Paris. Il est en pleine crise existentielle. Le public de la Sérénissime ne comprend pas la réforme théâtrale qu’il en est en train d’opérer. Cherchant à toucher la vérité au théâtre, il rompt avec l’improvisation et la commedia dell’arte pour mettre le texte au cœur du dispositif. C’est totalement à revers du courant actuel, où pour être plus proche des spectateurs, on privilégie l’écriture de plateau, on adapte pour ne pas se coller à la difficulté que peut avoir une écriture poétique. Je trouve cela passionnant, et c’est pour ça que j’avais envie de mettre dans la lumière cette pièce. Ce texte est un adieu à sa vie, à tout ce qu’il était et qu’il ne veut plus être. C’est du théâtre de troupe, de groupe sans grand premier rôle. Avec cette pièce qui questionne le vivre ensemble, il présage déjà l’œuvre de Tchekhov. C’est magique, c’est ce que j’aime au théâtre.
Propos Recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Crédit portrait © Stéphane Lavoué, coll. Comédie-Française et crédit Photos © Jean-Louis Ferdandez avec son aimable autorisation
J’ai beaucoup apprécié sa mise en scène du misanthrope. Merci pour cette interview.