A Roubaix, au cœur de l’ancienne filature de coton Motte-Bossut, devenue en 1993, le siège des Archives nationales du monde du travail, Bernard Sobel met en scène une quinzaine de collégiens et de lycéens dans Sainte-Jeanne des Abattoirs de Bertolt Brecht, une critique fine, construite comme conte initiatique, du système capitaliste et de ses conséquences.
Ancien fleuron de l’architecture industrielle du Nord, l’usine Motte-bossut, construit sur le modèle anglais des filatures de textile, érige ses tours de briques non loin du centre-ville de Roubaix. Fermé en 1982, le bâtiment est réhabilité par l’architecte Alain Sarfati entre 1989 et 1993 et abrite depuis le Centre des Archives nationales du monde du travail. C’est dans ce lieu hautement symbolique, que le metteur en scène Bernard Sobel, propose une version abrégée, mais terriblement efficace du conte noir de Bertolt Brecht, pièce qu’il a déjà montée il y a une dizaine d’années.
Mené conjointement par le collège Jean-Baptiste Lebas et le lycée Charles Baudelaire à Roubaix, avec le concours de la ville de Roubaix, des ANMT, du Goethe Institut et d’Amitié-Partage, ce projet fou, porté par une quinzaine d’adolescents, rêvant de découvrir le monde du théâtre, a vu le jour grâce au professeure de français Laure Abramowicz, ancienne collaboratrice de Bernard Sobel, nouvelle présidente de sa compagnie, et de Comlan Azanné, principal du collège Jean-Baptiste Lebas.
Pour le metteur en scène qui a plus de 60 ans de carrière derrière lui, c’est une première : collaborer avec des élèves de 3e et de terminale. Avec plus d’une centaine d’heures de travail au plateau de novembre 2018 à avril 2019, Le challenge, de taille, est relevé haut la main. Pour sensibiliser la jeunesse, l’impliquer, Bernard Sobel a, tout de suite, pensé à Sainte-Jeanne des Abattoirs de Brecht. La pièce relatant l’histoire du Chicagoan Pierpont Mauler, un patron de l’industrie de la viande en conserve, un spéculateur sans foi ni loi qui n’a que faire des gens qui bossent pour lui, et de Jeanne Dark, une jeune manœuvre confrontée à la précarité, une oie blanche qui va découvrir la bassesse des puissants comme celle des plus démunis, fait écho à l’actualité. « Elle entre en résonnance avec ce que ces jeunes gens voient au quotidien, ce que notre société subit de plein fouet, explique l’artiste. »
Configuration bifrontale, scénographie minimaliste, la mise en scène sobre de Bernard Sobel permet d’être au plus près de la violence économique subie par les ouvriers oppressés par un patronat qui en veut toujours plus, qui s’enrichit au détriment des autres, de leur misère. S’appuyant sur une étude, largement documentée par des œuvres replaçant dans son contexte historique, politique et artistique, le récit de Brecht, écrit entre 1929 et 1931, lors de son exil américain, le grand homme de théâtre, fondateur du théâtre de Gennevilliers, a emmené la quinzaine de comédiens en herbe à prendre conscience de la complexité de l’âme humaine, de sa noirceur, de sa naïveté, de ses désillusions autant que de ses espoirs.
Tous investis, les quinze élèves donnent vie avec une belle fragilité, une fraîcheur, à ce poème initiatique de Brecht. Si le trac en inhibe certains, les empêche de donner tout ce qu’ils ont dans le ventre, d’autres révèlent déjà une belle présence scénique, une nature théâtrale fort intéressante. Plus laboratoire de recherche que véritable représentation, ce Sainte-Jeanne les abattoirs vaut sans conteste le détour. une expérience à encourage !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Roubaix
Sainte-Jeanne des Abattoirs de Bertolt Brecht
Archives nationales du monde du travail
78, boulevard du Général-Leclerc
59100 Roubaix
Du 23 au 26 avril 2019
Durée 1h00 environ
Entrée libre
Mise en scène de Bernard Sobel
Avec quinze élèves inter-degrés de la classe de 3ème Théâtre du Collège Jean-Baptiste Lebas et de la terminale option facultative théâtre du Lycée Charles Baudelaire à Roubaix.
crédit photos © Ana Rivtina -–- Goethe-Institut