Dans le cadre de la 5e édition de « Shake Nice », un festival initié par Irina Brook, directrice encore pour quelques mois du Centre dramatique Nice-côte d’Azur, Cyril Cotinaut déconstruit l’emblématique Hamlet de Shakespeare pour mieux ancrer le mythe dans son intemporalité. Confrontant l’éternité fantasmée d’un héros noir à l’instantanéité de la scène, il signe une mise en abîme drôle et percutante du théâtre.
Après une descente dans le cœur vibrant du théâtre, on pénètre dans une salle de taille moyenne en forme d’hémicycle et on surprend quatre individus vêtus de noir, deux femmes, deux hommes faisant bombance. Dos aux spectateurs, face à un miroir, ils discutent, boivent, semblent ignorer qu’ils sont observés. Alors que les conversations se terminent, que les derniers arrivants s’installent, l’un des convives (Thomas Rousselot) de ce surprenant banquet se tourne vers le public, l’apostrophe, le questionne sur ce qu’est vraiment Hamlet, certainement la pièce la plus jouée du grand Shakespeare. Il invite à plonger dans les coulisses de la pièce, de ses thématiques autant que de la mise en scène.
Commençant par la fin de la tragédie, la mort du héros, qui avant de trépasser demande par lettre à son proche ami Horatio de continuer à vivre après la mort, l’adaptation de Cyril Cotinaut interroge l’intemporalité du texte de Shakespeare en contant l’histoire d’Hamlet par bouts entremêlés de digressions sur le théâtre, la scène, la légende qui entoure le prince maudit du Danemark, ainsi que celle étrange du célèbre dramaturge anglais.
Brisant le quatrième mur, les quatre comédiens – la lumineuse Cyrielle Voguet, l’intense Rachel Verdonck, l’épatant Thomas Rousselot et le charismatique Stephen Tordo – passent avec dextérité et espièglerie, tour à tour, dans la peau d’un personnage à l’autre, d’un rôle à l’autre. Ils font vibrer les mots de Shakespeare, leur donnent une belle densité tout en analysant leur portée, leur impact sur le jeu, sur le spectateur. L’effet est saisissant, prenant. On plonge dans l’intimité d’Hamlet, dans sa chair littéraire, dans son sang lyrique.
Véritable mise en abîme de l’art scénique, la tragédie revisitée par Cyril Cotinaut fait s’affronter avec ingéniosité l’intemporalité d’une des pièces les plus montées de l’auteur britannique à l’immédiateté du théâtre. C’est une réussite d’autant que le public se laisse totalement entraîner à la frontière entre fiction et réalité. Dommage que la scène du cimetière tourne au granguignolesque. Mais, ne boudons pas notre plaisir, Hamlet Requiem séduit par sa douce folie allant du sur-jeu dramatique à la chansonnette pop réinterprétée. Un mélange des genres, un détournement des codes qu’on a plaisir à découvrir.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Hamlet Requiem d’après l’œuvre de William Shakespeare
Théâtre national de Nice
Promenade des arts
06000 Nice
jusqu’au 30 mars 2019
durée 1h40
adaptation, traduction & mise en scène de Cyril Cotinaut assisté de Valérie Paüs
avec Thomas Rousselot, Stephen Tordo, Rachel Verdonck, Cyrielle Voguet
lumière d’Emmanuel Pestre
production TAC.Théâtre
coproduction Théâtre National de Nice – CDN Nice Côte d’Azur avec le soutien du Dispositif La Fabrique Mimont – Cannes et La Bourse du Travail – Avignon
Crédit photos © Cyril Cotinaut