L’enfant est mort, fauché par une voiture. Son absence est un gouffre sans fin, un vide quasi-insurmontable. Un couple de quadragénaires en pleine crise existentielle tente de faire face malgré les petits tracas du quotidien. S’emparant de ce drame décortiqué par les bons soins dramaturge David Lindsay-Abaire, Claudia Stavisky signe une mise en scène sensible, ingénieuse, qui fait la part belle au jeu des comédiens. Julie Gayet en tête y est lumineuse.
Dans une villa de banlieue chic, à quelques encablures d’une mégapole américaine, deux femmes, deux sœurs papotent tranquillement. Becky (Julie Gayet), l’ainée, la plus raisonnable, semble fatiguée, absente parfois, comme si un voile de tristesse l’a coupait du monde. Izzy (Lolita Chammah), la cadette, une tête folle, raconte ses dernières frasques dans un bar. Emportée dans son récit, elle confesse son petit secret, qu’elle ne pourra pas taire plus longtemps. Elle est enceinte. D’un coup, tout remonte. Le drame, qui il y a huit mois à endeuiller la maisonnée. Alors qu’il courrait après son chien, son jeune neveu de 4 ans, s’est fait renverser par une voiture, juste là, devant la maison, par un tout jeune conducteur de 16 ans (Renan Prevot), qui venait d’avoir le permis.
Face à cette tragédie, chacun réagit comme il peut. Becky, la mère, se replie sur elle-même, s’enferme dans un monde où aucune émotion ne peut transparaître, quitte à paraître froide, insensible. Elle fait le tri, le vide, elle jette tout, les vêtements, les objets qui appartenaient à son petit garçon. Howard (Patrick Catalifo), le père, à l’inverse, a besoin de communiquer, d’aller vers les autres, de se souvenir de tout, de lâcher prise, d’ouvrir les vannes de sa tristesse. Autour du couple brisé, gravite, omniprésent, le reste de la famille, la mère (Christine Cohendy) et la sœur de Becky.
Comment survivre à cette épreuve, cette douleur qui vrille le cœur ? Comment dépasser le deuil, éviter l’explosion du foyer ? De manière peut-être trop évidente, trop américaine, trop clinique, David Lindsay-Abaire décortique les sentiments, analyse les mécanismes de défense, de résilience que mettent en marche les êtres humains pour ne plus souffrir pour tenter de reprendre le cours de leur vie. Bien que le sujet touche, l’écriture ciselée de dramaturge américain manque de chaleur pour totalement nous emporter.
À sa manière sensible, délicate, Claudia Stavisky s’empare de cette tragédie, malheureusement banale et convenue dans sa forme, pour l’ancrer un peu plus dans le quotidien et lui donner une dimension plus humaine, plus psychologique. Avec une belle dextérité, elle dirige ses cinq comédiens, tous formidables. Patrick Catalifo campe avec justesse cet homme blessé, qui laisse de côté toute virilité pour libérer toutes les larmes de son corps. Renan Prevot donne au personnage de l’adolescent meurtrier, une fragilité touchante, une incongruité dérangeante qui glace les sangs. Lolita Chammah est étonnante en fille légère, maladroite, qui ne sait pas comment aider sa famille. Christine Cohendy est tout simplement extraordinaire. Drôle, décalée, à côté de la plaque, elle est le ressort comique nécessaire pour reprendre son souffle, ne pas tomber dans l’horreur. Enfin, Julie Gayet irradie la scène en mère quelque peu froide qui garde enfermée au plus profond d’elle sa souffrance. Terriblement bouleversante, quand, en de rares moments, sa forteresse vacille, chancèle. Un jeu d’une maîtrise rare. Bravo !
Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Rabbit hole de David Lindsay-Abaire
Théâtre des Bouffes Parisiens
4 Rue Monsigny
75002 Paris
Jusqu’au 31 mars 2019
du mardi au samedi à 21h et le dimanche à 15h
durée 1h40
Adaptation de Marc Lesage
Mise en scène de Claudia Stavisky
avec Julie Gayet – Patrick Catalifo – Lolita Chammah – Christiane Cohendy – Renan Prevot
décors d’Alexandre De Dardel
Lumières de Frank Thévenon
Costumes de Lili Kendaka
Musiques e Jean-Louis Imbert
Crédit Photos © Simon Gosselin