Sur un plateau presque nue, une silhouette se devine dans la pénombre. Longiligne, portant une robe blanche de gala et un turban, un mannequin de velours noir, sans visage, figure la diva des grands soirs, celle de Mr Bojangles, de See-Line Woman, de Sinnerman. Quelques notes jazzy résonnent. Du fond de la scène apparaissent Ludmilla Dabo, silhouette lascive, corps généreux, et David Lescot, guitare à la main.
Ne nous trompons pas. Ce n’est pas une hagiographie ,pas une énième biographie de la chanteuse de jazz, de soul, de la pianiste virtuose, qui va se jouer là, sur la scène de l’Espace Cardin, mais plutôt un hommage, une évocation de cette femme d’excès, de passion, de cette guerrière au grand cœur que les hommes ont abîmé, un portrait dédoublé de Nina Simone et de Ludmilla Dabo qui l’interprète.
Né d’une idée commune de Marcial di Fonzo Bo et d’Elise Vigier, respectivement directeur et artiste associée de la Comédie de Caen, Le Portrait de Ludmilla en Nina Simone fait partie des huit portraits-spectacles, que présentent, depuis un peu plus de deux ans, le Centre dramatique national de Normandie. Portées par un ou deux artistes, ces petites formes, demandant peu de matériel, redonnent vie à des figures, des personnalités ayant marqué, dans le passé proche ou lointain, par leur art, leur pensée, leur action, le monde d’aujourd’hui. Ainsi, Bernard-Marie Koltès, Stéphane Hessel, Michel Foucauld et Pierre Bourdieu ressuscitent le temps d’un spectacle.
Présenté à Avignon durant le festival OFF à la Manufacture, Le portrait de Ludmilla en Nina Simone retrace l’histoire d’Eunice Kathleen Waymon, petite fille née dans une famille pauvre de Caroline du Nord, qui si elle n’avait pas eu la peau noire aurait certainement été une très grande concertiste classique. C’est, en tout cas ,son ressenti. Marquée à jamais par son échec au concours d’entrée à la prestigieuse Juilliard School of Music de New York, incapable de faire le deuil de cette brillante carrière de pianiste, la jeune femme au destin brisé s’enferme dans une sorte de mélancolie combattive qui donne à sa musique toute sa force, tout sa vibrance.
Se fondant totalement dans la peau de son personnage, Ludmilla Dabo fait revivre la diva du Blues, du jazz tout en racontant son propre parcours de femme noire, de comédienne au sein du prestigieux Conservatoire national supérieur d’art dramatique, où sous de bien belles et sibyllines paroles, on lui a fait comprendre que la couleur de sa peau ne lui faciliterait pas la tâche. Guerrière tout comme son modèle dont elle aime la musique, le groove, le style unique, elle ne cesse jamais d’affirmer qui elle est et ce qu’elle veut, quitte à déstabiliser les fondements d’une institution un peu trop conservatrice.
Mêlant habilement confidences et chansons, toutes sélectionnées avec soin par la comédienne, cette évocation de Nina Simone concoctée par David Lescot vaut tout particulièrement par l’interprétation bouleversante et la voix sensuelle de Ludmilla Dabo, extraordinaire comme toujours. Etonnant !
Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – envoyé spécial en Avignon
Portrait de Ludmilla en Nina Simone par David Lescot
Festival d’Avignon le OFF – La Manufacture
Théâtre de la Ville
Espace Cardin
Avenue Gabriel
75008 Paris
Du 9 au 27 janvier 2019
Durée 1h10
Texte & mise en scène de David Lescot
Avec Ludmilla Dabo & David Lescot
COMPAGNIE Cie du Kaïros
Crédit Photos © © Tristan-Jeanne Vales