Dans son dernier opus présenté actuellement au TNS, Falk Richter questionne l’Europe, ses institutions, son identité multiple, sa diversité, à travers l’histoire de huit jeunes artistes venant de cultures et d’horizons différents. Sans aucun tabou, avec gourmandise et férocité, il gratte là où ça fait mal, secoue l’ « establishement », réveille nos consciences endormies et nos capacités à se rebeller, à se battre pour un monde plus juste, plus égalitaire, plus fraternel. Un show grandiose, totalement barré, un coup de poing nécessaire en ces périodes de replis populistes.
Qu’est-ce que l’Europe aujourd’hui ? Une utopie, née, il y a bien longtemps, dans l’esprit de conquérants antiques, puis dans celui plus philosophique des Lumières, une réalité prise à la gorge, un continent à la dérive identitaire dirigé par un binôme France-Allemagne, un agrégat de pays qui ne se comprennent plus, une communauté d’état née suite au traité de Rome, un doux rêve qui semble virer un cauchemar, une idée à laquelle on s’accroche coûte que coûte. C’est un peu tout cela à la fois et en même temps tellement plus.
Réunissant autour de lui, huit performeurs, sélectionnés après plusieurs workshops réalisés au cours des quatre dernières années de Venise à Berlin en passant par Madrid, Vienne et enfin Strasbourg, Falk Richter interroge, questionne, creuse l’identité européenne dans toute sa complexité. Gay, lesbienne ou hétéro, femme ou homme, parent ou célibataire, vivant en couple ou en trouple, athée ou croyant, issus de l’immigration, descendants de réfugiés ayant fuit la dictature de Salazar, ou plus prosaïquement de parents, de grands-parents, ayant quitté leur terre natal pour trouver du travail, chacun des ces artistes de 25-35 ans est un bout de cette communauté d’Etat, de cette association politico-économique. Ils parlent français, allemand, anglais, arabe ou croate. Ils sont tous confrontés à la précarité due à leur métier, au regard des autres en raison de leurs origines ethniques, de leurs orientations sexuelles. Ils ont tous un parcours qui bien que singulier se révèle universel.
Sans aucune limite, avec une pugnacité presque clinique, Falk Richter plonge dans leur quotidien, scrute leur intimité et esquisse le portrait d’une génération fiévreuse, fougueuse, inquiète, désenchantée et profondément optimiste. Engagé, fin sociologue bercé aux idées bourdieusiennes, sensible à l’actualité qui vient nourrir son œuvre, le dramaturge et metteur en scène allemand, est un artiste quadra ancré dans son temps. Partant de faits avérés, de la réalité d’un monde à la dérive, abordant le mouvement des gilets jaunes, le massacre du 17 octobre 1961, où des dizaines, des centaines d’Algériens ont été noyés dans la Seine par la police qui obéissait aux ordres de Maurice Papon, la montée du populisme à travers les discours haineux, sibyllins de Geert Wilders, l’enfermement dans de nouveaux ghettos des minorités, attisant leur haine à l’égard d’un pouvoir qui ne les regarde pas, ne les comprends pas, la mixité sociale, le mariage pour tous, les dérives capitalistes qu’aucun gouvernement ne semble vouloir, pouvoir arrêter, confrontant le passé guerrier d’une Europe qui se rêve pacifique et interprète de façon bouleversante, ce chant de révolte Italien, Bella Ciao, Falk Richter signe une pièce documentaire hors norme, un show burlesque, fantasque, un brûlot contre les idées reçues, un état des lieux lucide d’une organisation supranationale née d’une utopie, un manifeste pour plus de tolérance, de fraternité, de mixité sociale.
Totalement conquis par ce spectacle à la croisée des arts vivants qui ne ménage pas les susceptibilités, qui secoue les bien-pensances et réveillent les consciences, le public se laisse totalement embarqué dans cette folle farandole menée par huit artistes vibrants, vivants, à la présence scénique lumineuse, à la palette de jeu incroyable – étincelante Lana Baric, incandescente Charline Ben Larbi, ténébreux Gabriel Da Costa, épatant Mehdi Djaadi, lumineuse Khadija El Kharraz Alami, inénarrable Douglas Grauwels, incroyable Piersten Leirom et éclatante Tatjana Pessoa -, et se prend à chanter sur J’aime la vie de la Belge Sandra Kim, prix de l’Eurovision 1986, ou sur Papapoutai de Stromae. Un uppercut théâtral nécessaire à voir et revoir !
* Qu’est-ce que c’est ?
Par Olivier Fregaville-Gratian d’Amore – envoyé Spécial à Strasbourg
I am Europe de Falk Richter
Spectacle en français et en langues étrangères surtitrées
TNS – salle Koltès
Jusqu’au 24 janvier 2019
Du lundi au samedi à 20h
Durée 1h55
Tournée 18-20
Thalia Theater à Hambourg (DE) du 1er – 3 février 2019
Emilia Romagna Teatro Fondazione dans le cadre du VIE festival à Bologne (IT) du 9 et 10 mars 2019
Dramaten – Royal Dramatic Theatre of Sweden à Stockholm (SE) le 5 et 6 avril 2019
Festival Perspectives à Sarrebrück (DE) en juin 2019
Noord Nederlands Toneel à Groningen (NL) en Août 2019
Kunstfest Weimar à Weimar (DE), le 29 août 2019
L’Odéon – Théâtre de l’Europe à Paris (FR) du 18 septembre au 11 octobre 2019
La Comédie de Genève à Genève (CH) du 20 – 23 novembre 2019
Théâtre de Liège à Liège (BE) en novembre 2019
HNK Croatian national theatre à Zagreb (HR) en janvier 2020
Grand Théâtre de la Ville de Luxembourg à Luxembourg (LU) en mai 2020
mise en scène de Falk Richter assisté de Christèle Ortu
Traduction française d’Anne Monfort
Avec Lana Baric, Charline Ben Larbi, Gabriel Da Costa, Mehdi Djaadi, Khadija El Kharraz Alami, Douglas Grauwels, Piersten Leirom, Tatjana Pessoa
Chorégraphie de Nir de Volff
Dramaturgie de Nils Haarmann
Scénographie et costumes de Katrin Hoffmann assistée d’Émilie Cognard
Musique de Matthias Grübel
Vidéo d’Aliocha Van der Avoort
Lumière de Philippe Berthomé
Stagiaire assistanat à la mise en scène Barthélémy Fortier
Crédit photos © Jean Louis Fernandez