Sur les planches du théâtre de l’Atelier, Emmanuelle Bercot se glisse dans la peau d’une psychiatre à l’âme tourmentée. Guidée avec justesse par Léonard Matton qui a adapté le scénario de Face à Face d’Ingmar Bergman, fragile, elle donne vie, aux maux sculptés par le réalisateur suédois. Un moment de théâtre intense en devenir, qui mérite d’être resserré, ciselé encore quelque peu pour en extraire totalement angoisse et folle essence.
La vie semble sourire à Jenny Isskson (Emmanuelle Barcot). Épouse comblée, mère d’une jeune fille adorable, psychiatre confirmée, elle a tout pour être heureuse. Dans l’attente de la livraison de sa future maison de standing, du retour de son mari parti travailler trois mois à l’étranger, et de son enfant en stage d’équitation, elle décide de s’installer quelques temps chez ses grands-parents, afin de se faire chouchouter. C’est là qu’elle a grandi, après le décès de son père et de sa mère dans un accident de voiture.
Pourtant, une langueur, une fatigue semblent s’être emparées de son être. Un mal-être l’envahit. Totalement investie dans son métier, serait-elle submergée par les tourments qui hantent les âmes de ses patients ? Ou verrait-elle ressurgir ses démons intérieurs, enfouis depuis longtemps au plus profond de sa mémoire, suite à une agression sexuelle dont elle a été victime ? Tout semble s’entremêler. Elle perd pied, se noie dans les eaux troubles de ses pensées, n’arrive plus à se raccrocher à la vie. Submergée par ses névroses qui prennent forme sur le plateau par des images projetées sur l’immense toile de fond de scène ou par des scènes angoissantes qui apparaissent derrière par transparence, elle rêve de dormir, de ne plus se réveiller.
Avec beaucoup d’ingéniosité, Léonard Matton adapte Face à Face, un scénario signé par Ingmar Bergman, dont on célèbre cette année le centenaire de la naissance, d’abord diffusé à la télévision sous forme de feuilleton fleuve, avant d’être resserré pour le cinéma et couronné par la nomination de Liv Ullman aux Oscars. Jouant sur les champs, les contre-champs de façon très cinématographique, le prolixe metteur en scène, dont on a pu apprécier, il y a peu le Hamlet immersif à deux pas de la place Monge, convie les spectateurs à plonger au plus près des doutes, des angoisses qui assaillent cette femme, sans raison apparente. Tirant le fil de la mélancolie, du spleen qui s’abat sur elle avec une intensité inouïe, il esquisse le portrait d’une dépression froide, terrifiante, mettant en exergue les origines profondes du mal qui la ronge.
S’appuyant sur le texte au pouvoir cathartique de Bergman, Léonard Matton offre à Emmanuelle Bercot, un rôle puissant, dans lequel elle se livre à corps perdu. Si quelques ajustements, pour redynamiser le rythme de la pièce sont encore à prévoir et si en grande tragédienne en devenir, elle doit s’installer encore un peu plus dans la folie qui gagne son personnage, la blonde et accorte comédienne est sidérante de vérité. Accompagnée sur scène par une brochette de talentueux interprètes – Thomas Gendrenneau épatant en danseur tombeur, David Arribe ténébreux à souhait en ami-amant, entre autre – , qui s’invitent dans ses pires cauchemars, elle habite son rôle avec une fragilité sur le fil, une vulnérabilité déconcertante.
Ainsi, Face à Face revisité au théâtre vire au drame aliénant, transcendant et, malgré quelques longueurs, quelques faiblesses, devrait au fil du temps monter en puissance et saisir le public par sa radicalité fulgurante.
Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Face à face d’après Ingmar Bergman
Avant-premières au théâtre 13 et aux Plateaux Sauvages
7, rue des plâtrières
75020 Paris
Théâtre de l’Atelier
1, place de Charles Dullin
75018 Paris
Jusqu’au 26 janvier 2019
Du mardi au samedi à 21h00 et le dimanche à 15h00
Durée 2h00
Mise en scène de Léonard Matton assistée de Camille Delpech
Avec David Arribe, Emmanuelle Bercot, Philippe Dormoy, Thomas Gendronneau, Lola Le Lann, Évelyne Istria et Nathalie Kousnetzoff
Scénographie et lumières d’Yves Collet
Création sonore de Claire Mahieux
Musiques de Jules Matton
Création costumes de Raoul Fernandez
Conseil artistique de Roch-Antoine Albaladéjo
Crédit photos © Pascal Victor / ArtcomPress