Atmosphère inquiétante, se rapprochant plus de celle d’un thriller que d’une comédie de boulevard, La collection de Pinter aborde avec un cynisme noir les turpitudes de la jalousie. En s’emparant de ce texte froid, presque clinique, Ludovic Lagarde esquisse le portrait acéré d’une bourgeoisie amère, enfermée dans des principes surannés. Malgré le jeu ciselé des quatre comédiens, l’ensemble manque encore de corps et de chair, pour nous toucher tout à fait.
Sur une scène plongée dans la pénombre, deux appartements se font face, deux univers se confrontent. L’un sombre, élégant, rappelle le chic anglais, l’autre blanc, clinquant, très nouveaux riches. Alors que la nuit touche à sa fin, la sonnerie stridente du téléphone retentit. Personne ne bouge. Tout semble endormi. Un bruit de clé se fait entendre. Un homme en costume trois pièces portant un masque africain sur la tête fait son entrée côté cour. Titubant quelque peu, avec une lenteur mesurée, il décroche. Une voix froide demande à parler à un certain Bill, sans autre forme de politesse. Sans réponse satisfaisante, il raccroche faisant savoir qu’il n’en restera pas là, qu’il rappellera plus tard.
Cette étrange et étonnante entrée en matière donne le ton. Au vaudeville classique réunissant femme, mari et amant dans une folle et gaguesque farandole, Harold Pinter préfère un théâtre plus angoissant fait de suspens, d’intrigues et de confrontations psychologiques. S’éloignant du boulevard, il signe une pièce qui calque son scénario sur celui d’un roman noir. Ici, le mari (extraordinaire Laurent Poitreneaux) soupçonneux, n’a rien du benêt cocu. Bien au contraire, jaloux, possessif, il plane comme une ombre malfaisante, vénéneuse, prête à bondir sur sa proie, le galant présumé de sa chère et tendre moitié. Jouant avec le feu, alternant cajoleries et intimidation, il cherche à comprendre comment la tromperie s’est installée dans son couple, à connaître cet autre qui est entré dans sa vie, menaçant son équilibre.
Face à lui, son éthérée compagne (Divine Valérie Dashwood) ne dit mot, laissant galoper jusqu’à la folie, l’extravagante imagination de son époux. Instillant le doute dans ses réflexions, elle ne confirme ni ne nie avoir eu une aventure extraconjugale. Le pauvre homme n’est pas au bout de ses peines. Bill, l’amant présumé, (fascinant Micha Lescot), un dandy, génie de la mode, vit dans une relation trouble avec son mécène (épatant Mathieu Amalric).
Entre amour et trahison, passion dévorante et mensonge, ce quatuor déroutant, détonnant, se juge, se jauge et s’amuse à être tout ce qu’ils ne sont pas. De fausses pistes en chausse-trappes, de quiproquos en jeux pervers, La Collection entraîne le spectateur au plus profond de l’âme humaine. Dans un monde fait de convenances et d’hypocrisie, tous les coups sont permis pour se railler de l’autre. Mêlant habilement thriller et théâtre de l’absurde, Pinter invite à un bal de dupes qui ne laisse personne indemne.
À trop vouloir épurer le propos, à ciseler trop parfaitement les rôles de chacun de ses interprètes, Ludovic Lagarde signe un spectacle froid, où tous les rapports semblent gelés et manque encore trop souvent de spontanéité. S’il retranscrit parfaitement l’atmosphère étrange et glacée de la pièce de Pinter, il manque encore un peu de rodage pour que le spectateur soit totalement entraîné au cœur de cette bourgeoisie désœuvrée où s’affronte vielle garde qui n’a rien à prouver et nouveaux arrivants voulant asseoir leur réputation. En resserrant de-ci de-là la rythmique, cette Collection devrait s’affiner et révéler toute l’âpreté, toute l’acidité de cette comédie de mœurs fort inquiétante.
Par Olivier Fregaville-Gratian d’Amore – envoyé spécial à Rennes
La Collection d’Harold Pinter
TNB
Salle Vilar
Jusqu’au 25 janvier 2019
Les lundis, mardis, mercredis et vendredis à 20h00, les samedis à 15h00 et les jeudis à 19h30
Durée 1h20
Tournée
Théâtre des Célestins à Lyon du 5 au 9 février 2019
La Comédie de Reims – CDN du 27 février au 1er mars 2019
Théâtre des Bouffes du Nord à Paris du 7 au 23 mars 2019
Traduction d’Olivier Cadiot assisté de Sophie McKeown
Mise en scène de Ludovic Lagarde assisté de Céline Gaudier et de Lisa Pairault (stagiaire)
Avec Mathieu Amalric, Valérie Dashwood, Micha Lescot & Laurent Poitrenaux
dramaturgie de Sophie Engel
lumière de Sébastien Michaud
scénographie d’Antoine Vasseur avec la collaboration d’Eric Delpla
costumes de Marie la Rocca assistée de Peggy Sturm et d’Armelle Lucas (couturière)
maquillages, perruques et masques de Cécile Kretschmar assistée de Mityl Brimeur
son de David Bichindaritz
vidéo de Jérôme Tuncer
régie générale de François Aubry
régie plateau d’Eric Becdelièvre
régie lumière de Sylvain Brossard
habillage : Florence Messé
construction du décor : atelier du grand T – Nantes
Crédit photos © Gwendal Le Flem