Cheveux blancs clairsemés formant un halo majestueux autour de son visage marqué par les ans, les épreuves, Jean-Louis Trintignant, certes frêle, fragile, n’a rien perdu de sa superbe, de son élégance. Trônant sur la scène du théâtre de Porte Saint-Martin, voilée pour l’occasion de noir, il livre à travers les mots de ses poètes favoris l’état de son âme, sa mélancolie joyeuse, son flirt envoûtant, apaisé avec la mort. Un grand cri d’amour magique et musical qui touche au cœur.
La salle est comble. Tout-Paris se presse pour l’événement. Il faut dire qu’il n’y a seulement que dix dates pour (ré)entendre Jean-Louis Trintignant faire vibrer les mots de Jules Laforgue, d’Allain Leprest, de Jacques Prévert, de Boris Vian, de Léopold Sédar Senghor, de Gaston Miron ou Robert Desnos. Quand le rideau se lève, l’artiste, qui vient de fêter ses 88 printemps, se tient au centre de la scène, sur un siège surélevé. Ainsi, entouré de ses cinq musiciens, il domine l’espace. Les yeux rieurs, il scrute la salle tel un enfant espiègle. Le goût du théâtre, de la comédie, du jeu, ne l’a pas quitté, bien au contraire.
Se laissant porter par les notes mélodieuses de l’accordéon, de la contrebasse et des violoncelles, il déclame les premiers vers. Le débit lent donne à sa voix une profondeur nouvelle, troublante, qui emporte l’auditoire vers des contrées lointaines, oniriques. Le choix des textes libertaires, radicaux ou piquants, n’est pas anodin. Ils parlent tous d’amour, de vie et de mort. Pourtant, si des accents nostalgiques, mélancoliques émaillent sa tessiture, la tonalité de sa voix, une sérénité, une quiétude, émanent de sa personne.
Sensible, terriblement vivant, Jean-Louis Trintignant badine, conjugue les vers, la prose avec les envolées harmonieuses du tango de Piazzolla divinement joué par Daniel Mille et son quartet. Le temps est suspendu. Un silence mystique a envahi la salle. Hypnotisés par l’aura intacte du comédien, tous savourent la performance. Bercés par cette voix unique, élégante, ensorcelante, tous entrent en communion, écoutent les vicissitudes du monde, les maux qui le rongent.
Avec humour, tendresse, Jean-Louis Trintignant parlent des choses du quotidien, de leur gravité, de leur fugacité, du racisme, de la pauvreté. Droit, le geste parfois mal assuré, il tient la ligne, le verbe haut. La grande faucheuse qui lui a ravi sa fille, Marie, il y a plus de quinze n’est pas loin, tapie dans l’ombre. Mais ce soir, elle ne gagnera pas. L’homme, éternel amoureux d’Anouk Aimée dans le mythique long-métrage de Claude Lelouch, est bien là, présent, irradiant. Il arrache des larmes à l’assistance émue, bouleversée quand le temps des adieux se profile à l’horizon et qu’il dédie l’ultime poème de ce récital, Marche à l’amour de Gaston Miron, à sa chère enfant disparue dans les tristes conditions que l’on sait.
D’un bond, d’un geste, le public se lève et ovationne avec une chaleur redoublée l’acteur, le grand homme, l’être de chair et de sang qui vient de donner une magnifique et fantastique leçon de vie, d’humanité, d’humilité. En un mot, Bravo !
Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Trintignant – Mille – Piazzolla d’après les poèmes de Jules Laforgue,
Allain Leprest, Jacques Prévert, Boris Vian, Gaston Miron, Robert Desnos…
Théâtre de la Porte-Saint-Martin
18 Boulevard Saint-Martin
75010 Paris
10 dates exceptionnelles
Durée 1h30 environ
reprise du 24 et 29 mars 2020
Mise en scène Alexandre Vernerey
Avec Jean-Louis Trintignant et avec la participation exceptionnelle de Denis Podalydès, Sociétaire de la Comédie-Française (sauf les 13, 14 et 22 déc.)
Direction musicale de Daniel Mille
Arrangements de Samuel Strouk
A l’Accordéon Daniel Mille.
Au Violoncelle solo Grégoire Korniluk.
Au 2e violoncelle Paul Colomb.
Au 3e violoncelle Frédéric Deville en alternance avec Jérôme Huille.
A la Contrebasse Diego Imbert.
Son de Tristan Devaux.
Scénographie et lumière d’Orazio Trotta assisté de Gaëtan Lajoye.
Crédit Photos © Fanny Marotel