Loin du conte de Charles Perrault, Rudolf Noureev signe une version burlesque de l’histoire tragique de Cendrillon, qu’il situe pour l’occasion dans le Hollywood des années 1930. Ne se privant de rien, refusant toutes contraintes, il s’amuse comme un fou, détourne les codes, les règles et surenchérit dans le pastiche livrant un ballet étrange, drôle, exubérant à outrance auquel la grâce et la virtuosité de Dorothée Gilbert et Hugo Marchand donnent son souffle onirique.
Morceau de répertoire s’il en est, Cendrillon, le conte dansé imaginé par Rudolf Noureev en 1986 sur la musique de Serguei Prokofiev, fait partie des ballets néoclassiques qui font date tant par la féerie qu’il déploie que par le parti-pris un brin caricatural qui en font sa singularité. Mort depuis plus 20 ans, le célèbre chorégraphe a marqué Garnier de sa présence, de son talent, de son goût de la perfection, de la précision, ainsi que du burlesque.
Transposant l’histoire de cette jolie jeune fille (Dorothée Gilbert), cantonnée au rôle de bonniche par son acariâtre marâtre (Aurélien Houette) et ses deux insupportables filles (Valentine Colasante et Émilie Cozette), en plein âge d’or hollywoodien, Rudolf Noureev réinvite le conte de Charles Perrault et lui donne des airs de vieux films. Devenue producteur au nez creux (François Alu), la bonne fée s’ingénue à offrir un avenir meilleur à la belle enfant, lui fait découvrir les studios de cinéma, l’envers du décor, et enfin joue les entremetteuses avec le charmant et sémillant acteur-vedette (Hugo Marchand).
S’éloignant de l’œuvre originale, en gommant les côtés trop sombres, la part cruelle, par des pantomimes drolatiques – les deux sœurs sont hilarantes de bêtises, de gaucherie – , des tableaux superflus emplis de références cinématographiques que soulignent la magnifique scénographie de Petrika Ionesco – un défilé de mode sublime sur le thème des quatre saisons, le tournage de King Kong ou un numéro de claquettes à la Chaplin, il signe une œuvre enchanteresse et cocasse qui séduit autant les petits que les grands.
Au-delà du ballet quelque peu potache, quelque peu caricatural, l’écriture chorégraphique de Noureev révèle des solos virtuoses, des pas de deux envoûtants, des danses de groupe enlevées. Réglant avec rigueur les enchaînements, ciselant les mouvements, les gestes, les placés de bras, les portés autant dans le pastiche que dans la tradition classique, il invite au rêve, au songe.
Reprenant près de 30 ans après sa création, les Ballets de l’Opéra de Paris se rapproprient l’œuvre de celui qui fut leur directeur et offrent un spectacle parfait pour les fêtes de fin d’année, que souligne avec délicatesse les interprétations de l’éblouissante Dorothée Gilbert, du virevoltant François Alu et du solaire Hugo Marchand.
Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Cendrillon / Rudolf Noureev
Ballet en trois actes d’après Charles Perrault
Opéra Bastille – Opéra de Paris
Place de la Bastille
750012 Paris
Jusqu’au 2 janvier 2019
Durée 2 heures 45 environ
Musique de Serguei Prokofiev
Chorégraphie de Rudolf Noureev
Direction musicale de Vello Pähn
Mise en scène de Rudolf Noureev
Décors de Petrika Ionesco
Costumes d’Hanae Mori
Lumières de Guido Levi
Avec Dorothée Gilbert, Hugo Marchand, Valentine Colasante, Émilie Cozette, Aurélien Houette, François Alu, Paul Marque, Charline Giezendanner, Sae Eun Park, Fanny Gorse, Nicolas Paul, Francesco Mura, Pierre Rétif (Distribution du 15 décembre 2018)