Sans cri, sans heurt, la vie défile avec son lot de vicissitudes, de peines et de joies. En adaptant le conte réaliste de Flaubert, Xavier Lemaire et Isabelle Andreani rendent un hommage vibrant à nos arrières grands-mères, à ces femmes rustiques, modestes, qui avaient de l’amour à revendre, qui se satisfaisaient de peu. Une plongée saisissante dans la France rurale du XIXe siècle, portée par une comédienne rare, bouleversante.
Félicité (éblouissante Isabelle Andréani) n’a pas de chance, elle attire les mauvais coups du sort. Orpheline, naïve, candide, cette fille de ferme accorte a le mauvais goût de plaire à son patron. Ne voulant pas d’histoires, refusant toutes les avances tenant plus que tout à son honneur, elle cherche une place ailleurs. Enamourée d’un beau jeune homme, qui après lui avoir fait gentiment la cour, la laisse seule sur le bord de la route, elle finit par entrer au service de madame Aubain, une riche propriétaire, veuve, austère et sèche. Cette rudesse convient parfaitement à sa simplicité, à son naturel sans fard, à sa conception presque ascétique de la vie.
Pourtant, Félicité est ce qu’on appelle une belle nature, en quête d’amour, de compassion, elle a de la tendresse à offrir, à donner sans contrepartie aux autres. Rapidement, elle s’attache aux enfants de sa maîtresse, le beau Paul, la délicate Virginie. Elle les aime de tout son cœur. Elle s’en occupe avec diligence et affection. Vieille fille, elle se prend d’une passion maternelle pour son beau neveu Victor. Elle lui cède tout, fait tout ce qu’elle peut pour le rendre heureux. Enfin, elle s’entiche d’un perroquet aux mille couleurs, mais le sort s’acharne, les peines redoublent, rien ne lui sera épargné. Tous les gens qui comptent pour elle meurent ou s’éloignent. Rien n’y fait, rien n’entame son humeur toujours égale. Si colère et souffrance bouillonnent dans son corps, jamais elle ne les exprime. Elle traverse la vie avec bonhomie, aménité sans jamais se plaindre. Elle force le respect.
Afin que le récit ciselé, touchant de cette femme au cœur simple prenne chair, Xavier Lemaire et Isabelle Andréani ont pris le parti d’adapter à la première personne le conte de Flaubert. S’emparant de sa plume charnelle, féroce autant que tendre, ils entraînent le spectateur au cœur du XIXe siècle, de sa société provinciale corsetée dans des principes compassés et livrent le portrait vrai, sensible d’une servante sans prétention qui pourrait être l’une de nos ancêtres.
Dans un décor dépouillé – juste quelques planches de bois symbolisent la maison de Madame Aubain – , usant de peu d’accessoires pour créer l’atmosphère nostalgique, Isabelle Andréani se glisse avec toute sa fougue, sa délicatesse, dans la peau de Félicité. Elle lui offre sa silhouette généreuse, sa douceur, sa force vitale. Jamais caricaturale, toujours juste, elle livre une interprétation sans fioriture qui touche au cœur, parle à l’âme. Refusant tout pathos, la comédienne célèbre ici la vie avec ses joies et ses peines. Truculente, bouleversante, elle est cette fille de campagne à l’existence finalement si banale, au quotidien rythmé uniquement par les tâches de la maison.
Séduit par cette relecture captivante de ce texte de Flaubert que souligne si bien la mise en scène tout finesse de Xavier Lemaire et le jeu subtil d’Isabelle Andréani, le public quitte un temps le Paris du XXI e siècle pour la Normandie du XIXe et se laisse prendre, envoûter par ce destin de femme singulier, commun. Un pur moment d’émotion !
Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Un cœur simple de Gustave Flaubert
Festival Off Avignon – Théâtre de l’Essaïon Avignon
33, rue de la Carreterie 84000 Avignon.
Du 7 au 29 juillet 2023 à 13h15, relâche les mercredis.
Durée 1h25.
Théâtre du Poche-Montparnasse
75, boulevard Montparnasse
75006 Paris
Reprise du 19 septembre 2022 au 24 avril 2023
Les lundis à 21h, relâche le 10 oct.
Mise en scène de Xavier Lemaire
Avec Isabelle Andréani
Scénographie de Caroline Mexme
Crédit photos © Photo Lot
La belle écriture de Flaubert est magnifiée par cette recréation d’ Isabelle Andréani Ce qui est un monologue se transforme sous notre regard ébahi en une multiplicité de personnages qui évoluent sous nos yeux et dont la vie est magnifiée par le choix du quatuor « la jeune fille et la mort » de Schubert qui intensifie encore l’émotion ressentie. Venez nombreux et en famille ! JFB