Pas de deux, danses de groupe, pièces chorales ou intimistes, le ballet de Lorraine s’offre pour son ouverture de saison, un panaché complet d’enchaînements où l’exigence de la danse classique côtoie le lâcher-prise du contemporain. Entremêlant les styles de quatre chorégraphes d’horizons différents, le triptyque « Plus Plus » déroute quelque peu mais souligne la virtuosité d’une troupe d’excellence.
L’écrin est de toute beauté. Donnant sur la fameuse place Stanislas, l’Opéra national de Nancy, s’est paré de lumières en cette soirée froide et brumeuse de novembre pour lancer sa saison de danse. Au menu, un assortiment de trois pièces chorégraphiques aux atmosphères résolument différentes, que domine sans conteste par sa force troublante, intimiste et charnelle l’œuvre centrale de Saburo Teshigawara. Ce programme vient clôturer en beauté les festivités pour les 50 ans du CCN qui ont été célébré toute l’année dernière.
Pour la mise en bouche, le Ballet de Lorraine, donne Record of ancient things, création maison écrite à quatre mains en 2017, par Petter Jacobsson, directeur artistique des lieux et son assistant Thomas Caley. Sur une scène dépouillée, où les pendrillons en plastique transparent, laissent à vue les coulisses, une foule de vingt-quatre danseurs, toute la troupe en somme, court, virevolte, prend possession de l’espace. En tenues de sport rappelant quelques treillis militaires, baskets bigarrées aux pieds, ils inscrivent leurs mouvements fluides puis saccadés dans une réalité urbaine.
Tout est pensé comme une extension dansée d’une certaine forme de Street-art. Ainsi, les entrechats, les jetés, les arabesques aux déliés, à l’exécution fort académique sont brisés dans leur élan par une gestuelle plus contemporaine, plus brut. Jouant sur le choc des cultures, sur un éclairage très étudié qui va du clair-obsur à une lumière très crue, les deux artistes nous invitent à une virée nocturne entre rave party, salle de sport et errance fêtarde au cœur d’une cité. Si l’ensemble paraît bien trop carré, presque trop impeccable, perdant du coup un peu de chair et d’incarnation, ce premier ballet particulièrement maîtrisé montre la connaissance parfaite du talent, de l’excellence de la troupe par les deux chorégraphes.
Dans la pénombre, au loin, un dos apparaît. À peine effleuré par le cercle lumineux qui se dessine au sol, il semble ondulé. Les os et les muscles se tordent révélant une certaine monstruosité, une capacité presque surréaliste à se désarticuler, à se déformer. L’effet est saisissant, captivant, hypnotique. Entré au répertoire du ballet de Lorraine en février dernier, Transparent Monster de Saburo Teshigawara, pièce pour trois danseurs – Justin Cumine, Nathan Gracia et Willem-Jan Sas, tous remarquables, extraordinaires – , entraîne le public aux frontières du réel dans un ballet fantasmé où les mouvements inspirés des arts martiaux asiatiques viennent se couler dans une gestuelle onirique, poétique, d’une rare beauté, intensité. Véritable acmé de cette soirée, ce ballet confirme l’étonnante virtuosité des interprètes.
Enfin, la troupe revient en force, dans une dernière pièce chorégraphique, intitulée Flot, plus rugueuse, plus difficile à appréhender. S’emparant d’une suite de valses de Serge Prokofiev, le Suisse Thomas Hauert a créé pour l’occasion une série de saynètes où se succèdent à l’envi solo, pas de deux et danse chorale. Sortant et entrant comme par magie de derrière un rideau vert, les interprètes, un après l’autre ou en groupe, envahissent l’espace. Méli-mélo de corps dont les mouvements sont sublimés par la texture lâche des vêtements qui amplifie leurs arabesques, les combinaisons s’enchaînent sans pour autant émouvoir, ou attraper l’attention du spectateur. Le découpage trop haché de l’ensemble empêche de se laisser emporter par les envolées lyriques de la musique, le tournoiement des tissus et les volutes des déliés. Malgré tout, et c’est toute la force de cette troupe, leur virtuosité, leur admirable technique finissent par transcender une œuvre encore jeune qui manque de pratique, de maturité pour toucher vraiment.
Fascinés par le jeu, la présence de ces jeunes danseuses et danseurs, dont certains déjà se distinguent nettement par leur singularité, leur luminosité, tel Tritan Ihne, Valèrie Ly-Cuong, Justin Cumine ou Amandine Biancherin, dont le public parisien pourra du 17 au 25 janvier 2019 découvrir les prouesses dans le ballet Plaisirs inconnus, une expérience étrange où chorégraphe(s) et équipe artistique ont accepté de rester inconnus, les spectateurs ressortent conquis et heureux de cette soirée sous le signe de l’émotion, de la perfection et de la diversité.
Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – envoyé spécial à Nancy
Plus plus programme d’ouverture du Ballet de Lorraine
Opéra national de Nancy
1 Rue Sainte-Catherine
54000 Nancy
Jusqu’au 18 novembre 2018
Durée 2H20 avec entractes
Record of ancient things
Chorégraphie de Petter Jacobsson et de Thomas Caley
Musique de Peter Rehberg
Lumières d’Eric Wurtz
Costumes de Petter Jacobsson et de Thomas Caley avec l’Atelier costume du CCN – Ballet de Lorraine
Avec Jonathan Archambault, Amandine Biancherin, Agnès Boulanger, Alexis Bourbeau, Pauline Colemard, Justin Cumine, Charles Dalerci, Inès Depauw, Flavien Esmieu, Angela Falk, Simon Feltz, Nathan Gracia, Tritan Ihne, Vivien Ingrams, Margaux Laurence, Valèrie Ly-Cuong, Amélie Olivier, Elsa Raymond, Rémi Richaud, Willem-Jan Sas, Ligia Saldanha, céline Shœfs & Luc Verbitzky
Durée 40 minutes
Transparent Monster (création 2018)
Chorégraphie de Saburo Teshigawara
Collaboration artistique : Rihoko Sato
Musique de Debussy, Schubert et Bach
Avec Justin Cumine, Nathan Gracia et Willem-Jan Sas
Durée 20 minutes
Flot (création)
Chorégraphie de Thomas Hauert
Musique : Suite de Valses op.110, de Serge Prokofiev
Avec Avec Jonathan Archambault, Amandine Biancherin, Agnès Boulanger, Alexis Bourbeau, Pauline Colemard, Justin Cumine, Charles Dalerci, Inès Depauw, Flavien Esmieu, Angela Falk, Simon Feltz, Nathan Gracia, Tritan Ihne, Margaux Laurence, Valèrie Ly-Cuong, Amélie Olivier, Elsa Raymond, Rémi Richaud, Willem-Jan Sas, Ligia Saldanha, céline Shœfs & Luc Verbitzky
Durée 40 min
Crédit Photos © Laurent Philippe