Comme d’autres pièces du dramaturge français, l’intrigue de cette comédie en 3 actes repose sur le travestissement d’un des personnages qui cherche par ce truchement à explorer le monde. S’éloignant de la farce drôle, satirique, Yves Beaunesne en fait un conte tragique, qui donne à voir la nature humaine dans toute sa complexité, sa beauté, sa noirceur. Une surprenante adaptation très esthétisante qui gagnerait à être plus contrastée.
Dans une riche demeure barcelonaise, une jolie princesse régnante (Marine Sylf), un brin capricieuse, cherche désespérément un époux qui pourrait combler ses ardeurs amoureuses et convenir par ses atouts politiques à ses conseillers. Le charmant Lélio (Nicolas Avinée), qui n’est autre que le prince déguisé de l’état voisin, lui a tapé dans l’œil, mais pourrait-il être l’heureux élu ? Si ses avis sont toujours bons, il est, pour beaucoup un simple aventurier fort dérangeant. Un peu trop présent dans le cœur de la romantique souveraine, il est temps pour le vieux Frédéric (Jean-claude Drouot), ministre avide de pouvoir qui sent sa position menacée, de se débarrasser de ce bellâtre par quelques manigances particulièrement ingénieuses. Dès lors, le sort s’acharne sur le malheureux jeune homme. Amoureux de la pétillante Hortense (Elsa Guedj), qui, n‘est autre que l’amie de cœur et une lointaine parente de la princesse, il voit sa vie basculée des ors des palais aux noirceurs de quelques geôles. Mais on est chez Marivaux, l’amour triomphe, les masques et les apparences trompeuses de chacun tombent.
S’éloignant du ton acidulé dont sont souvent auréolés les textes du dramaturge français, Yves Beaunesne s’est attaché à en extraire la noire satire, la vision rugueuse d’un monde où tous se cachent et jouent un rôle. Là, où certains ne voient que bluettes et fantaisies dénonçant les normes d’une société corsetée dans ses castes, dans son machisme, le metteur en scène belge, directeur de la comédie Poitou-Charentes, préfère souligner la critique du pouvoir qui se dessine, en filigrane, des passions amoureuses. Virant à la tragédie, la comédie humaine de Marivaux laisse un goût âpre en bouche, malgré sa fin heureuse où les méchants sont châtiés comme il se doit et les amants se retrouvent.
Afin d’alléger le drame qui se joue dans les couloirs d’une monarchie en quête d’un nouveau souffle, d’espoir heureux, Yves Beaunesne ponctue chaque joute verbale par des intermèdes musicaux « jazzy », créés spécialement par le talentueux Camille Rocailleux. Accueillis comme de véritables bouffées d’air frais, ils contrastent joyeusement avec l’atmosphère guindée, rigide et étouffante qu’il a donnée au reste de la pièce. Il en va de même pour les rôles de valets, incarnés par Thomas Condemine, inénarrable, et Johanna Bonnet, hilarante, qui prennent le contre-pied de leurs maîtres, trop sérieux.
Si l’on peut regretter lors de la création à Angoulême ,en novembre dernier, des jeux qui se cherchent, des rythmes à resserrer, Le Prince travesti version Beaunesne est un spectacle léché, élégant qui ne démérite pas et devrait au fil des représentations prendre une densité dramatique burlesque des plus intéressantes.
Par Olivier Fregaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Angoulême
Le prince travesti ou l’illustre aventurier de Marivaux
durée 2H20
créé le 6 novembre 2018 au Théâtre d’Angoulême – Scène nationale
durée 2h20
tournée
Théâtre Firmin Gémier – La Piscine à Chatenay-Malabry, les 4 et 5 décembre 2018
Centre des Bords de Marne Au-Perreux-sur-Marne, le 10 janvier 2019
Scènes du Golfe à Vannes, le 15 janvier 2019
Scène Nationale 71 à Malakoff du 23 janvier au 1er février 2019
Théâtre Montansier-Versailles du 6 au 10 février 2019
Scène Nationale 61 à Alençon du26 février 2019
Théâtre Jacques Cœur de Lattes, le 21 mars 2019
Grand Théâtre de Calais, les 28 et 29 mars 2019
Maison de la Culture Nevers Agglomération à Nevers, le 4 avril 2019
mise en scène d’Yves Beaunesne assisté de Marie Clavaguera-Pratx et Pauline Buffet
avec Marine Sylf, Elsa Guedj, Nicolas Avinée, Jean-Claude Drouot, Thomas Condemine, Johanna Bonnet, Pierre Ostoya-Magnin et Valentin Lambert
dramaturgie de Marion Bernè
scénographie de Damien Caille-Perret
lumières de Joël Hourbeigt
composition musicale de Camille Rocailleux
costumes de Jean-Daniel Vuillermoz
maquillages de Kuno Schlegelmilch
crédit photo © Guy Delahaye