La femme, être maléfique et fascinant, objet de toutes les tentations, de toutes les trahisons, est au centre de cette comédie explosive de Molière, satire sociale d’une société machiste qui aimerait la mettre sous cloche. Se saisissant à corps perdu de ce texte acerbe, drôle, féroce du dramaturge français, le patron de l’Odéon en cisèle avec ingéniosité les vers qui résonnent avec une acuité toute particulière dans l’actualité. Une très belle réussite !
Transformée en salle de fitness, ultra chic, la scène du théâtre de l’Odéon prend un sacré coup de jeune. Fini les meubles d’antan, les robes à panier, les vêtements à collerettes empesées, Arnolphe (Claude Duparfait), le vieux garçon déçu par la gente féminine, si bien croqué par Molière dans son Ecole des femmes, a traversé les siècles. De noble parvenu, vieux barbon, un brin ridicule, il est devenu un cadre supérieur bien fait de sa personne et soignant sa mise. Ainsi, cultivant sa barbe, plus sel que poivre, il fait du sport, sculpte son corps. Il est l’archétype du « vieux beau », qui refuse de vieillir.
Le temps n’a rien fait à l’affaire, il est toujours aussi suspicieux à l’égard de l’autre sexe. Il confie ses angoisses, ses doutes à son ami Chrysalde (Assane Timbo) et lui conte avec emphase et fanfaronnade comment il a su préserver sa promise de toutes perversions, de toutes interactions avec le monde extérieur. Enfermée dans une maison de verre, observée en permanence par deux paysans qui lui servent autant de domestiques que de geôliers, la très jeune Agnès (Suzanne Aubert), un vrai tendron aux allures de Lolita de Nabukov, s’ennuie à mourir attendant l’heure de la délivrance, l’hyménée. Mais les apparences sont parfois trompeuses, d’autant plus chez Molière, maître de la farce corrosive. Là où la belle voit un père de substitution, pourrait bien se cacher, un bien vieux mari, reléguant Horace (Glenn Marausse), le naïf garçon qui a fait chavirer son cœur, aux rebuts des importuns.
S’affranchissant des styles, des règles, Stéphane Braunschweig s’empare des mots, des vers de cette satire sociale pour lui donner tout son éclat, son grotesque, son inquiétante dureté qui fait étrangement écho aux maux de nos sociétés occidentales, incapables de se libérer totalement de la domination masculine. Encore et toujours, et ce malgré les nombreuses avancées féministes de ces dernières années, la femme reste cet objet de défiance, perfide aux charmes ensorcelants, cet être qu’on rêve de posséder coûte que coûte. A l’ère du « #metoo », l’histoire contée par Molière, de cet homme terrorisé à l’idée d’être trompé, cocufié, qui cherche dans une jeunette à peine pubère, les espérances d’une union heureuse, sans se soucier des sentiments de celle-ci, retentit d’une bien vive et actuelle sonorité.
C’est d’autant plus révélateur et intemporel, que le dramaturge écrit cette pièce alors qu’il vient d’épouser en justes noces, Armande Béjart, la fille de sa vieille maîtresse, que certains de ses détracteurs estimaient être le fruit de sa chair. Ainsi, il plane un terrible parfum d’inceste sur cette comédie qui est loin d’être aussi légère qu’il n’y apparaît. Et d’ailleurs, en metteur en scène aguerri, Stéphane Braunschweig s’est engouffré avec ingéniosité dans ses aspérités, ses interstices plus sombres, pour en révéler toute la noirceur.
Ainsi, Arnolphe, sous les traits de Claude Duparfait, excellent, troublant, n’est pas aussi pathétique qu’on nous le montre si souvent. C’est un homme blessé, certes risible, grotesque mais surtout angoissé, triste, tragique. Présageant les fanatiques d’aujourd’hui qui voilent, cachent les femmes, faute de pouvoir contrôler leurs pulsions sexuelles, et celles de leur congénères, il est l’archétype de l’être mal dans sa peau qui se radicalise croyant ainsi masquer ses faiblesses criantes. En parallèle, Agnès, incarnée avec justesse et un brin de perversion par Suzanne Aubert, est ici, loin de l’enfant innocente. Elle cache derrière son bien joli minois, ses rêves de liberté, son sang qui bout, ses désirs, ses appétits de donner un peu de sel à sa triste vie, quitte à faire passer de vie à trépas le fameux petit chat, histoire de s’occuper.
Le plaisir est grand de voir ainsi modernisée cette tragi-comédie de Molière. Dans un écrin ultra contemporain, grâce à des comédiens, tous épatants, les amours contrariées d’Arnolphe sont un délice doux amer qu’on savoure avec délectation. Braunschweig, électrisé par son acteur fétiche, Claude Duparfait, fait de son Ecole des femmes un spectacle haut en couleurs qui dépeint à merveille le rapport entre les sexes, quel qu’il soit.
Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
L’école des femmes de Molière
Odéon – théâtre de l’Europe
Place de l’Odéon
75006 Paris
jusqu’au 29 décembre 2018
du mardi au samedi à 20h00 et le dimanche à 15h00.
Durée 1h50
Mise en scène et scénographie de Stéphane Braunschweig assisté de Clémentine Vignais
Avec Suzanne Aubert, Laurent Caron, Claude Duparfait, Georges Favre, Glenn Marausse, Thierry Paret, Ana Rodriguez et Assane Timbo
collaboration artistique : Anne-Françoise Benhamou
costumes de Thibault Vancraenenbroeck
collaboration à la scénographie : Alexandre de Dardel
lumière de Marion Hewlett
son de Xavier Jacquot
maquillages & coiffures de Karine Guillem
vidéo de Maïa Fastingerp
Crédit photos © Elizabeth Carecchio